mardi 19 janvier 2010

Quand j’entends parler de « liberté » et/ou de « démocratie », je sors mon rouleau à pâtisserie


par Michèle MIALANE, 19/1/2010
Selon le Petit Larousse illustré :
Démocratie : Régime politique dans lequel le peuple exerce sa       souveraineté lui-même, sans l’intermédiaire d’un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentants interposés (démocratie représentative.)
Le « Tiers État » qui, avec l’aide de quelques nobles et curés divers, a introduit dans mon pays la « démocratie » (représentative car déjà alors il paraissait bien difficile aux millions de Français de délibérer et de trouver un consensus) l’a dotée de la fière devise qui orne le front de nos édifices publics : « Liberté, égalité, fraternité. »
Ce Tiers État qui était en fait la bourgeoisie montante- et d’aucuns en son sein souhaitaient sincèrement améliorer le sort d’un « peuple » quelque peu pressuré par une monarchie agonisante - n’avait pas été élu au suffrage universel. Il a fallu attendre 1848 pour que l’idée se fasse jour. Encore devait-on montrer patte blanche ou plutôt membre viril pour être électeur.  Et cela devait durer, dans le pays qui avait inventé le concept, jusqu’en 1944, où nous autres femmes dotées d’une intelligence inférieure et d’une affectivité surdéveloppée avons enfin eu le droit de mettre un bulletin dans les urnes de la République, ce qui à dire le vrai n’a pas été un facteur décisif de l’abolition du Code Napoléon.

À Versailles ! Paris, 5 octobre 1789

Le Tiers État de 1789 avait été élu par des citoyens payant l’impôt. Imagine-t-on que des pauvres absolus puissent avoir une pensée saine ? Cela explique sans doute que la propriété fut déclarée « droit inaliénable et sacré » par les Constituants alors que le droit à la nourriture n’existe encore de nos jours que dans la jurisprudence (cas de « l’état de nécessité » qui vous autorise, si vous n’avez pas un sou en poche et rien mangé depuis trois jours, à piquer un cassoulet  avec ou sans porc  dans un supermarché sans encourir les foudres de la Justice.) Notre cher Secrétaire d’État au logement l’a bien rappelé l’autre jour lorsqu’on lui a demandé (sur la Cinq) s’il était vraiment acceptable d’empêcher les gens de squatter un appartement vide depuis dix ans quand le moindre loyer à Paris excède la moitié du SMIC et qu’il fait moins dix degrés : la propriété, même laissée à l’abandon, c’est sacré, plus que le confort et même la vie d’un pauvre qui crève de froid, non mais !
La « démocratie » donc, c’est la démocratie « représentative », soit le pouvoir législatif délégué à des gens élus. Élus par qui ? Nous l’avons vu : par ceux que le système déjà en place juge bons. (Je précise que les États généraux étaient convoqués par le roi et que la noblesse et le clergé y disposaient de places réservées, la         moitié environ du total. En 1789, Louis XVI convoqua les États généraux en raison de la désastreuse situation financière du royaume). Il arrive que cela tourne au désavantage de ce système. C’est rare. Cela faillit être le cas en 1793. Mais l’on se reprit.
Alors : Qui représentent ces délégués ?
Inutile de rechercher, de nos jours, quelle est la proportion respective des professions libérales et des salariés du haut de l’échelle, bref du gratin, d’une part et des employés, ouvriers, petits paysans, bref de la piétaille, de l’autre dans l’Assemblée du peuple, et de la comparer à cette même proportion dans l’ensemble de la population. Je suis résolument contre la parité homme-femme car le système implique que de toute façon la plupart des petits, lorsqu’ils accèdent à des postes de pouvoir, ont trahi ou vont le faire. Voyez Fadela Amara. Comme dans un système patriarcal les femmes ne sauraient être que des femmes-alibis, dans un système où les riches sont maîtres les pauvres ne sauraient être que des pauvres-alibis. Pour Fadela Amara, les deux à la fois. Ça vaut une décoration !Femme du peuple
Comment voulez-vous dans de pareilles conditions que cette Assemblée prenne le parti de gens dont au mieux elle ignore tout, qu’au pire elle redoute, que presque toujours elle méprise ? La prétendue « démocratie athénienne » était moins faux-cul : elle n’était le fait que d’hommes (mâles) riches et ne prétendait pas agir dans l’intérêt des pauvres, des femmes, encore moins des esclaves. Car c’était une démocratie esclavagiste, comme plus tard la République romaine. Et bien plus tard encore les Etats-Unis d’Amérique. Du reste la France révolutionnaire n’a été qu’à peine troublée par l’esclavage dans ses colonies, et les diverses Républiques qui se sont ensuite succédées, avec quelques intermèdes, ont exalté le fait colonial ; comme chacun sait, quoi de plus démocratique que la colonisation ? Les colorés ont comme les femmes une intelligence inférieure et une affectivité surdéveloppée, c’est bien connu. Il leur faut des maîtres !
Venons-en au fait : dans ce prétendu « gouvernement du peuple », les conquêtes sociales ont été ... des conquêtes ; acquises de haute lutte par le mouvement ouvrier en général, la paysannerie n’étant devenue contestataire que très récemment dans les pays dits « démocratiques ». Je citerai en France les deux grands mouvements du Front populaire et de mai 1968. Les lois votées en faveur du peuple n’ont pas été décidées magnanimement par ses « représentants  », mais leur ont été arrachées. Les femmes, elles, ont livré au quotidien des combats longs et opiniâtres.
Mais ce cache-misère de l’absence de souci pour le peuple a volé en lambeaux depuis - je prie les anticommunistes de m’en excuser- la chute de l’Union soviétique. Car depuis longtemps cette invention antique, puis française, servait les intérêts des maîtres du monde, en particulier du monstre états-unien (et de son séide britannique), qui n’hésitait pas à qualifier de « démocratiquement  élus » ou de « démocrates » les dictateurs sanglants qu’elle soutenait un peu partout  après les avoir le plus souvent mis en place elle-même. De Suharto à Videla en passant par Trujillo, Marcos et le Chah d’Iran...le choix est vaste. Soyons juste, la France n’a pas été en reste, essentiellement en Afrique, encore que je ne puisse faire autrement, aujourd’hui précisément, que de mentionner la famille Duvalier, haïtienne comme chacun sait. C’était bien simple : quiconque était anticommuniste était démocrate, quiconque n’était pas anticommuniste était totalitaire, ou en grand danger de le devenir. (On ne savait pas au juste ce qu’était le communisme, mais c’était le Mal absolu puisqu’il était l’Ennemi de la Liberté et il était tapi dans son antre moscovite d’où il tentait d’étendre sur le monde ses malsains tentacules). Avec la disparition de la menace soviétique, le monstre a perdu toute vergogne et a invoqué la démocratie pour renverser tous les régimes qui n’étaient pas à sa botte, surtout s’ils avaient le mauvais goût de détenir trop de ressources énergétiques ou minières.
J’avais proposé il y  a quelques années les définitions suivantes :
 -Est démocratique tout régime en accord avec les Etats-Unis, y compris ceux qui se sont imposés par coup d’État militaire, pratiquent la détention et l’assassinat arbitraires, torturent , bâillonnent toute opposition et pressurent les pauvres.
 -Est totalitaire tout régime qui ne se plie pas aux diktats des USA, même s’il respecte tous les critères de la « démocratie » : liberté de conscience, d’expression, de circulation, etc., et même liberté des médias et élections « libres».
Et voilà : nous en arrivons au pire : la liberté, cette raison d’être de la « démocratie», est aussi la condition sine qua non de son établissement.
Sémantiquement c’est gênant.  Et pas seulement sémantiquement : si la démocratie ne peut s’établir sans liberté, c’est que la liberté lui a préexisté ? Et si elle lui a préexisté, elle peut exister sans elle ?

Les tricoteuses jacobines, an II, gouache, Pierre-Etienne Lesueur, 1793-1794, Paris, musée Carnavalet © RMN / Agence Bulloz
 
Revenons au Petit Larousse :
Liberté : État d’un être qui n’est pas soumis à la servitude (merci ! Comment définissez-vous la servitude ? Comme un « état où l’on est privé... d’indépendance. » Autrement dit : de liberté !) plus une petite dizaine de définitions, toutes relatives à un cas précis (liberté de conscience, de culte, d’expression, de circulation...). Bref, la liberté, dans l’absolu , c’est assez merdique à cerner.
Les Constituants mentionnés plus haut, et qui avaient promu la propriété au rang de « droit inaliénable et sacré », sans lui assigner aucune limite, avaient bien senti le problème :  la propriété, on sait bien ce que c’est. Essayez de vous installer dans le lit de votre voisin, ou seulement  de payer avec le porte-monnaie de la dame qui est devant vous, voire modestement de jouer avec le dernier Nintendo de votre petit frère, vous verrez  que vous êtes  à peu près seul contre tous. Mais la liberté ? La liberté, elle, c’est vous qui la définissez, alors elle est limitée ... par celle d’autrui. Dirent les Constituants.
Car le problème est que  dans le concret il  y a, tout au plus, la liberté de faire telle ou telle chose (Voir plus haut, le Petit Larousse). Et ça peut conduire à de sévères bagarres, quand deux libertés empiètent l’une sur l’autre, ce qui est à peu près toujours le cas. On l’a en partie résolu, ce problème, en admettant que tous les « autrui » ne se valent pas. Il y en a qui sont plus égaux que d’autres... Une autre de mes constatations c’est : notre système est parfaitement juste si on admet qu’un homme vaut deux femmes, un Blanc dix colorés (ces deux lois souffrent quelques exceptions) et un riche autant de pauvres que son compte en banque vaut celui du pauvre (Cette fois, aucune exception).
C’est ainsi que, dans notre système qui n’a que ce mot à la bouche, des actionnaires inutiles ont la liberté de mettre à la rue, pour empocher un peu plus d’argent dont déjà ils regorgent, des milliers d’êtres humains  qui aimeraient avoir la liberté de conserver leur emploi. Un propriétaire de dix immeubles a la liberté  de refuser d’en louer un, à un prix raisonnable, à dix familles en possession d’enfants qui aimeraient avoir la liberté de se  loger correctement. Un milliardaire a la liberté de priver d’eau et de nourriture cent mille êtres humains, en détournant à son profit, pour ses menus plaisirs, le cours d’eau qui les fait vivre et  au bord duquel ils aimeraient avoir la liberté de continuer à vivre. Ce que nous appelons « liberté », dans un monde marchandisé, c’est la loi de la jungle, dans une jungle où la force se nomme « l’argent ».
Alors, qu’on remplace notre devise par ces trois mots : esprit critique, égalité en droits (en droits ; j’y tiens ! l’égalité  tout court est un leurre) et solidarité. Au moins, ça voudra dire quelque chose.
Appendice :
Dans notre système français « démocratique » :
Un texte (le TCE) rejeté par 55% des votants, avec une forte participation électorale, a été imposé par le Parlement, y compris les « représentants » de deux Partis (P.S  et Verts) dont les électeurs avaient voté contre à plus de 60%.
Une loi contestée par une Chambre où l’exécutif dispose d’une très forte majorité va passer en force, si ce n’est déjà fait (Taxe professionnelle)
Une loi rejetée par le Conseil Constitutionnel, gardien d’une Constitution -adoptée (très largement) au suffrage universel - sera imposée sous peu  par l’exécutif (Taxe carbone).
Un débat qui n’intéresse absolument pas plus de  la moitié des Français, et fort modérément la majorité des autres (l’identité nationale) est lancé à grands frais, alors que le projet de statut de la Poste ne fait l’objet d’aucun référendum (il est déjà adopté) , bien qu’une consultation organisée de bric et de broc au coin des rues ait mobilisé deux millions de votants (et nombreux sont ceux qui comme moi y auraient participé s’ils en avaient eu la possibilité) qui  le rejettent à 90%.
Vous me fournirez bien d’autres exemples ?





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Michèle Mialane est membre de Tlaxcala, le réseau international de traducteurs pour la diversité linguistique. Cet article est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteure et la source.

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