lundi 1 février 2010

Les démons d’Haïti

par Jorge  MAJFUD, 23/1/2010. Traduit par Armando García, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original : Los demonios de Haití
The Devils in Haiti
 
Plusieurs théories sont apparues, après le grand séisme d’Haïti, sur les causes de celui-ci.
George Samuel Antoine, consul d’Haïti au Brésil, attribue la faute à la macumba [1] et à la race : « L'Africain lui-même porte une malédiction sur lui. Partout où vous avez des Africains, c'est la merde! ».
L'influent télévangéliste Pat Robertson a affirmé que le malheur était dû au fait que le peuple haïtien avait un accord avec le diable (« a pact with the devil »). Un accord secret. Tellement secret que Dieu lui-même n'en a pas été informé -mais bien Pat Robertson. Dans le cas contraire, l'amour infini du Créateur aurait sûrement évité que des milliers d'enfants innocents meurent dans ce complot cosmique. Ou alors Il le savait et l'a permis, au nom de Sa politique bien connue de non-intervention.
Une autre théorie très diffusée et accréditée par des milliers d'éditeurs et de blogueurs et des présidents comme Hugo Chávez affirme que le séisme qui a rayé de la carte la capitale du pays et a tué plus de cent mille personnes a été causé par les USA pour déstabiliser le régime de l'Iran. Ce qui démontre, au passage, le pouvoir technologique des USA, capable de déplacer les plaques tectoniques soutenant des mers et des pays entiers.
Bien que séculaire, la théorie a beaucoup à voir avec la tradition théologique selon laquelle Dieu a l'habitude de détruire des peuples entiers pour éviter que le marchand de légumes du coin trompe sa femme.
D'autres présidents et chroniqueurs affirment que l'aide usaméricaine est en réalité une invasion pour piller les richesses d’Haïti et obtenir une position stratégique dans les Caraïbes - près du Cuba. Une preuve de plus que les services secrets usaméricains sont distraits, puisqu'on sait tous qu'Haïti est le pays le plus pauvre de l'hémisphère et que, plus près de Cuba, se trouve Guantánamo. C'est pourquoi il est bien possible que les USA envahissent bientôt, également, Guantánamo.
On pourrait aussi se demander si ce genre de théories anti-usaméricaines ne sont pas le produit de quelque perverse agence US. Parce qu'il n'y a pas meilleure façon de discréditer toute critique anti-impérialiste que de formuler ces stupidités de type anti-usaméricain.
Viendra bientôt un jour, à ce rythme, où peu de gens croiront que Truman fut le président qui a ordonné de lancer deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Action qui, grâce au sacrifice héroïque de dizaines de milliers d'enfants innocents, a probablement évité la mort de dizaines de milliers d'enfants innocents.

Pendant que chaque groupe idéologique tire un profit dialectique du séisme d’Haïti, des milliers d'enfants continuent d'agoniser et de mourir sans remède.
Mais toutes nos meilleures paroles vont mourir là où meurt un enfant.
Toutes nos meilleures pensées vont mourir là où un enfant cesse de pleurer de faim, de douleur et de toute l'injustice qu'il ne comprend pas.
Toutes nos meilleures idées et nos meilleurs discours se transforment en une poignée de terre stérile là où une mère dépose des fleurs sur la petite tombe.
Il mériterait de vivre si, peut-être, une de nos paroles d'horreur et d'indignation évitait la mort d'un seul enfant dans le monde. Dans les faits, quasi jamais donc. Ou jamais.
Si par hasard nos paroles suivaient nos actes comme la joie suit le sourire d'un enfant, comme la richesse d'un pays suit la valeur de sa monnaie, peut-être alors nos paroles auraient une certaine valeur.
De la sorte nos paroles seraient un peu plus que de lâches symboles, de vains discours, de jolies fleurs qui vont parfumer le lit du paresseux indigné.
Et peut-être que, cependant, les mots ont encore une valeur quand ils font bouger. Nous leur donnons une valeur et un sens lorsque nous nous bougeons pour eux.
Et là les mots qui émeuvent et ne font pas bouger ne servent à rien
Commençons par donner quelque chose. Pour ces enfants-là, un verre d'eau vaut plus que mille mots.

[1] A l'origine, le mot macumba désignait le lieu où les esclaves noirs célébraient leurs rites. Ce terme désigne aujourd’hui l’ensemble des cultes afro-brésiliens. On retrouve ainsi, sous cette dénomination, l’influence de différents groupes ethniques -y compris les Amérindiens qui furent en contact avec les esclaves noirs dès le XVIe siècle. (Wikipedia)

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