mardi 29 juin 2010

Les Basques contre Guggenheim et Arcelor Mittal

Manifeste en faveur de Busturialdea (Pays Basque)*
par
BUSTURIALDEAN LAN ETA BIZI, 30/4/2010. Traduit par  Isabelle Rousselot et édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
De juin 2008 jusqu'à aujourd'hui, le député général de Biscaye et les autorités associées ne voient pas d'autres moyens pour se sortir de l'inquiétant déclin socio-économique de ces 30 dernières années en Urdaibai* que d'amener la marque Guggenheim à Sukarrieta, « car ce sera un moteur pour le tourisme, vital pour le développement de la région ». 
Où se trouve la clef ? Alors que la franchise du Guggenheim à Bilbao se termine en 2014, le gouvernement basque, le Conseil Provincial, la Fondation Solomon R. Guggenheim, BBK (caisse d'épargne), Iberdrola (société d'énergie espagnole), BBVA (groupement bancaire) et Arcelor Mittal (multinationale de l'acier) ont décidé, de leur côté, de poursuivre la franchise Guggenheim et de l'étendre à la Residencia (colonie d’ enfants) de BBK  à Sukarrieta.
   Le musée Guggenheim a ouvert à  Bilbao en 1997. L'acier utilisé pour le bâtiment conçu par Frank Gehry a été fourni par Arcelor Mittal, le principal  sponsor du musée. Photos Fausto Giudice, Tlaxcala 
 
Au vu de cette décision sérieuse, nous avons ressenti le besoin d'établir un dialogue avec les responsables du Conseil provincial, ce qu'ils ont refusé. C'est pour cette raison que nous souhaitons partager, encore une fois, avec nos compatriotes et avec les représentants sociaux, quelques réflexions :
• Motivé par des promesses et des intérêts qui ne nous ont pas été communiqués, le Conseil provincial et certaines multinationales veulent reconduire la franchise Guggenheim en Urdaibai. Cette décision n'est pas conforme au plan culturel, puisque aucun plan culturel n'existe. Sous couvert d'art et de nature sont dissimulés des objectifs obscurs et/ou spéculatifs. Mais son financement nous est imposé à nous, les citoyens.
• Ceux qui ont pris cette décision savent très bien que le projet pour Urdaibai est déficitaire. Et que, par conséquent, les donateurs devront supporter les énormes dépenses engendrées par cette décision tandis que les autorités réduiront les services et les dépenses sociales. Ces décisions prises derrière le dos des citoyens et en leur nom sont une insulte à l'intelligence.

Vue de la colonie d’ enfants de BBK à Sukarrieta, avec la plage de San Antonio. Photo LUIS ALBERTO GARCÍA/El PAIS
• Busturialdea a déjà défini ce qu'elle doit investir dans le projet. Busturialdea a un plan stratégique, convenu entre les divers organismes et approuvé par décret en 1998. Son objectif est de conduire toutes les activités socio-économiques. C'est ce à quoi les responsables institutionnels doivent se conformer s'ils veulent sincèrement encourager le développement durable d'Urdaibai. Nous demandons que les 200 millions d'Euros qui seront apparemment dépensés, soient affectés à des investissements productifs et sociaux. Nous avons besoin d'emplois dans tous les secteurs, mais pas de transformer Urdaibai en une région de tourisme de masse.
• Les services publics et sociaux qu'offre la Residencia de Sukarrieta, liés à l'éducation comme, entre autres, le Centre pour l'Expérimentation scolaire, un  témoin de l'éducation internationale, devront être conservés. Sinon, coupée de ces composants uniques, la dénomination de réserve de biosphère sera tronquée. Plus de 9000 habitants de Biscaye bénéficient des services de la Residencia qui génère 45 emplois. À qui bénéficiera la perte de tout cela ?
"Pays à vendre": affiche dans la ville de Bermeo,  Busturialdea. Photo Fausto Giudice, Tlaxcala
Ces attitudes corrodent la démocratie de ses fondations. Nous appelons à un dialogue, pas à une décision imposée. Il est temps qu'un plan stratégique soit mis en place avec la solidarité et la participation de tous. Construire la région en commun est l'œuvre de chacun.
Signataires:

EHNE, ELA, LAB, EZKER ABERTZALEA, GERNIKA-LUMOKO EKOLOGI TAILERRA, ZAIN DEZAGUN URDAIBAI, IEUP! GAZTE ASANBLADA
Soutenu par :
STEE-EILAS
GURE ARBASOEN HERRIA KULTUR ELKARTEA (KORTEZUBI)
URDAIBAIKO GALTZAGORRIAK
HERRIARTE
COMISION DE FIESTAS DE EA
BIZI GARA DE EA
JOVENES INDEPENDENTISTAS DE BUSTURIALDEA
SINDICATO ESK
ARRATZUKO ARROLAPE MENDI TALDEA
ZAPELATZA ARRATZUKO GAZTERIXE
BEDARUKO JAI BATZORDEA
BEDARUKO KARABIA KULTUR TALDEA
ANTIKAPITALISTAK
BERDEAK-LOS VERDES
DECRECIMIENTO
GERNIKAKO ARRANO KULTUR ELKARTEA
BUSTURIALDEKO EUSKAL HERRIAN EUSKARAZ
NATXITXUKO BERTSO ESKOLA
NATXITXUKO JAI BATZORDEA
TXATXARRAMENDI KULTUR ELKARTEA
BUSTURIARROK AUZO ELKARTEA
GOITIBEHERAK INERTZIA KIROLEN ELKARTEA
HAITZ BIRIBIL ELKARTEA
BUSTURIALDEKO IKASLE ABERTZALEAK
SEBER ALTUBEKO ENPRESA KOMITEA
ARBOLAPERA
GANTZABALE KULTUR ELKARTEA
EGUZKI
INPERNU URDAIBAIKO ESKALADA TALDEA
KANKINKABARA TXISTU TALDEA
BERMEOKO TXOSNA BATZORDEA
BUSTURIALDEKO ASKAPENA
ZANTZUE KULTUR ELKARTEA
FORUKO JAI BATZORDEA
KOSTALDE ELKARTEA
ZAKILIXUT ELKARTEA
HERRIJERI EMON ARNASA KULTUR ELKARTEA
TRAGOLA KULTUR ELKARTEA
GERNIKA-LUMOKO AMNISTIAREN ALDEKO MUGIMENDUA
GERNIKA-LUMOKO ETXERAT
LILIBERTSO
IPARRAGIRRE MUSIKA ELKARTEA
AIXERROTAPE ZIKLOTURISTA ELKARTEA
EBAKI XXI ENPRESA KOMITEA
BERMEOKO GIZARTE ONGIZATERAKO UDAL PATRONATUKO ENPRESA KOMITEA
ITZARTU ZURE BASAJAUNA
AIXERREKU NATURA GIDARIEN ENPRESA
KUKUBEDARRAK URDAIBAIKO EMAKUMEEN ELKARTEA
XAGUXARRAK AJANGIZKO GAZTE ASANBLADA
HACK.IN#BADAKIGU
HACKELARRE
TRINKETE ANTITXOKOA
EL GRUPO DE COMPROMISARIOS DE LA IZQUIERDA ABERTZALE EN LA ASAMBLEA GENERAL DE BBK
GERNIKAKO BILGUNE FEMINISTA
ATXURKULU EMAKUME TALDEA
UGT
ASTILLEROS DE MURUETA SAko ENPRESA KOMITEA
ANDIA SALeko ENPRESA KOMITEA
RINDER INDUSTRIAL SAko ENPRESA KOMITEA
GERNIKA BATZORDEA
EZKER GOGOA
MUGARIK GABE
BIZKAIGANE GAZTA ETA ESNE EKOIZLEAK
ARALAR
ELKARTZEN
SANTI BROUARD TALDEA


* Note de l'éditeur :


Busturialdea, la région de Busturia, fait partie des régions originelles  (merindades en espagnol, eskualdeak en euskera) qui se sont unies pour constituer la province de Biscaye. Aujourd'hui, ce nom fait référence à une partie réduite de la même sous-région originelle. La comarque (équivalent du comté) est aussi appelée Busturialde-Urdaibai ou comarque de Gernika (Guernica en espagnol). Busturialdea est situé le long de l'estuaire d'Urdaibai, aujourd'hui une réserve de biosphère et une zone balnéaire, qui à l'origine comprenait toute la côte jusqu'en Guipuzcoa. Busturialdea est parfois simplement appelé Busturia, particulièrement en Espagne, bien que la région puisse alors être confondue avec la municipalité du même nom. Busturialdea était le cœur historique de la Biscaye : la capitale de la province, Gernika, était située à l'intérieur de la province. Le village de Mundaka, qui appartient également à cette comarque, a le privilège de toujours parler en premier dans les sessions du parlement et pendant de nombreuses années, le port de Bermeo a été un complexe portuaire jusqu'à ce que Bilbao soit fondé en 1300.  Busturialdea et son estuaire luxuriant avaient déjà leur importance à l'époque préhistorique. Particulièrement important est le site des grottes de Santimamiñe, qui offrent un exemple d'habitat humain depuis le Neandertal jusqu'à l'âge du fer  avec de magnifiques peintures rupestres qui datent du Magdalénien final.               

        
      Carte d'Euskadi (Pays Basque)    La région de Busturialdea

  

La nouvelle franchise Guggenheim dans l’économie spéculative

 par Nekane JURADO, 17/5/2010 Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala 
Original :  Gara-La nueva franquicia Guggenheim en la economía de la especulación
Peu importe que l’AVE (TGV espagnol) aille plus ou moins  vite ou que les musées soient déficitaires : les décisions sur les infrastructures sont un domaine de prédilection pour les affabulations du pouvoir.
Eva Forest a dit que la culture, si elle ne vient pas du peuple, n’est plus de la culture mais autre chose. Le peuple « sait » toujours, son identité, transmise par de multiples facteurs  (sa langue, ses restes archéologiques, ses formes apprises de relation à son environnement et d’interprétation de celui-ci, ses us et coutumes transmis par les générations etc.) fait que non seulement il connaît mais porte une culture authentique. Quand la culture est conçue dans les bureaux pour être une valeur de marché, ce n’est pas de la culture, c’est un nouveau produit commercial.
L’absurdité du projet Guggenheim en Urdaibai peut être analysée à partir de divers points de vue. Je vais me centrer sur l’aspect économique, mais en signalant que le rapport officiel lui-même évoque la mise en route de projets de musées à l’échelle mondiale pour satisfaire les exigences et les expectatives de nouveaux publics dans le contexte de la mondialisation. Et ici nous nous heurtons aux nouvelles valeurs et à l’idéologie de l’art mondialisé. Sous prétexte de multiculturalisme on promeut le relativisme pour dépouiller les créations culturelles autochtones de signification et de sens historique concrets. Ce relativisme a pour but de freiner les créations susceptibles de remettre en cause et en danger les valeurs idéologiques du statu quo conservateur.
Le PNV [Parti nationaliste basque, au pouvoir, NdT] a transformé Euskal Herria en Euskal Hiria [la Ville mondiale basque, un projet de développement régional, NdT], détruisant le tissu économique du secteur primaire et industriel (en Urdaibai, ces secteurs ont perdu 10 000 postes de travail) et y substituant des constructions spéculatives (grandes infrastructures et zones résidentielles) des services de consommation et de loisirs, qui emploient surtout des femmes et des jeunes avec de hauts niveaux de précarité. Et c’est cette conception qui sous-tend le projet analysé ici.
Ils parlent de relancer une contrée qu’ils ont préalablement détruite économiquement et, pour ce faire, ils visent à urbaniser toute une zone protégée comme réserve de biosphère, pour ensuite redéfinir des zones contigües déjà prévues pour devenir des résidences temporaires d’artistes universels. Ils nous servent la fable de la laitière et du pot au lait, évoquant des emplois dans le BTP (alors que nous savons qu’ils embauchent d’arrache-pied des équipes entières d’immigrés, sans ou avec peu de droits) et dans le secteur de la gastronomie et des services (femmes de chambre, domestiques des nouveaux fils à papa…) et tout cela en détruisant notre terre.
Le nouveau Guggenheim sera un nouvel élément de concentration de revenus, à travers la dépense publique, par deux biais :
1. ةconomiquement, des 130 millions d’Euros de 2008, on est passés en décembre 2009 à une estimation de 200 millions, rien que pour le musée. Mais il ne s’agit pas seulement des 8 hectares du musée, il y a aussi les parkings, les résidences d’artistes etc., et aussi l’engagement àà construire deux tunnels reliant Bilbao à Gernika et Bermeo, pour permettre d’accéder au musée depuis ces deux lieux en 30 minutes. La grande vitesse détruira notre sous-sol, les aquifères et le système fragile des marais.
2. Outre les investissements nécessaires, le musée a une exploitation commerciale déficitaire (recettes des entrées moins frais de maintenance). Ce qui veut dire que non seulement, il sera incapable d’amortir les coûts élevés de construction, mais qu’il qu’il aura besoin de financements publics permanents pour pouvoir fonctionner.  Le rapport officiel estime les frais annuels à environ 7 millions et les recettes à un million, disant clairement que le déficit annuel sera comblé par des subventions publiques. Un déficit annuel supérieur à celui du Guggenheim de Bilbao, qui est couvert par des subventions de plus de 4 millions d’Euros par an.
ہ ces coûts annuels des musées durant toute leur durée de vie, il faudra ajouter le coût public des intérêts annuels de la dette contractée pour financer leur construction et le coût social des fraudes (disparition de fonds, investissements spéculatifs…) qui semblent être intrinsèques à ce genre de fondations (rappelons les fraudes encore inexpliquées des musées Balenciaga et Guggenheim de Bilbao, entre autres.
Le Guggenheim d’Urdaibai est l’infrastructure la plus grosse et la plus chère jamais projetée dans cette région – sans la moindre rentabilité économique et sociale qui la justifie - , il augmentera les inégalités sociales, en concentrant la richesse entre les mains des spéculateurs fonciers, en expulsant de ses environs  les jeunes à la recherche de logements, dont les prix exploseront et condamnant à la précarité du travail, cantonné aux « services », avec un effet régressif sur la distribution des revenus. Même ainsi, il aura besoin d’être subventionné, ce qui aggravera la baisse des dépenses en prestations sociales. Cela s’ajoutera aux coupes actuelles pour nous maintenir à un des niveaux les plus bas de l’UE.
Mais tout cela n’empêche pas qu’il y ait un vrai « progrès » pour un secteur basque : celui des spéculateurs fonciers, des entrepreneurs du bâtiment et du béton, la BBK [Bilbao Bizkaia Kutxa, Caisse d'ةpargne de Bilbao et de Biscaye, NdT] et le lobby de Jon Azua [ex-vice-président du gouvernement basque PNV, président du think tank e-novating lab, membre du CA de la Fondation Guggenheim, NdT].
Le modèle sur lequel se centre l’activité publique est fondé sur une économie de la corruption, où l’argent sale, à travers les entités financières, se répand dans tous les organes de pouvoir politique et économique, et demande son tribut pour être blanchi : la construction de grandes infrastructures. La fraude fiscale en Euskal Herria dépasse les 10 000 millions d’Euros par an et est l’une des plus élevées dans l’UE. Elle a besoin de circuits de blanchiment, et pour cela nos gouvernements offrent des TGV et des musées mondiaux.
Peu importe que l’AVE (TGV espagnol) aille plus ou moins vite ou que les musées soient déficitaires : les décisions sur les infrastructures sont un domaine de prédilection pour les affabulations du pouvoir, elles rétablissent des hiérarchies claires entre la métropole centrale et les métropoles périphériques, et leur financement détermine la géographie du pouvoir. Face à cette absurdité économique, j’adhère pleinement au « Manifeste en faveur de Busturialdea» lancé par la plateforme Lan eta Bizi de la contrée.


Le projet Guggenheim en Urdaibai (Pays Basque)
par  Josu Amezaga Albizu, Gara, 29/5/2010. Traduit par  Isabelle Rousselot et édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le projet Guggenheim dans la région de Busturialdea- Urdaibai dissimule derrière des paillettes attrayantes ses véritables intentions dont les racines sont enfouies dans le terrain politique et économique. L'auteur réaffirme le risque sérieux pour la réalité culturelle de Busturialdea, une des régions les plus bascophones du Pays Basque, qui sera menacée par la visite annuelle de millions de personnes avec le castillan comme seul moyen de communication.  
La lutte environnementale de ces dernières décennies a réussi entre autres choses, à imposer qu'avant tout grand projet, une étude sur l'impact environnemental soit réalisée. Certes, cette condition préalable n'est pas souvent respectée et de nombreux exemples le montrent. Mais au moins, la bataille sociale dans ce domaine est gagnée et c'est là que se trouvent les bases qui confèrent une légitimité sociale à ceux qui s'opposent à un projet qui prétend échapper à la condition environnementale.
Le musée Guggenheim à Bilbao. Photo Fausto Giudice, Tlaxcala
Néanmoins, moins de travail a été fait, jusqu'à présent, concernant l'impact de la réalisation de ces grandes infrastructures sur la culture. Depuis quelques temps, certains affirment que, comme pour la défense des baleines et autres espèces menacées d'extinction ou comme pour la préservation
d' écosystèmes entiers, il y a autant, si ce n'est plus, de raisons d'empêcher l'extinction des peuples, des langues et des cultures. A mon avis, les raisons de défendre cette thèse sont largement suffisantes, bien que je ne pense pas qu'il soit nécessaire de nous étendre sur la question.

Naturellement, il est bon de penser à l'impact qu'un projet comme le musée Guggenheim à Busturialdea pourrait avoir sur la culture d'une région et au-delà pour tout un peuple. Sans aucun doute, ce projet répond plus à des intérêts d'ordre politique, économique et territorial qu'à une valorisation de la culture. Mais il se fait passer pour un projet culturel (c'est ainsi que le département de la culture du Conseil provincial le mets en avant) et c'est de cette question que je veux parler.
Les musées Guggenheim dans le monde
Nous pouvons déjà, et de manière générale, étudier l’impact du musée Guggenheim de Bilbao sur la culture basque ou sur la culture en Pays Basque, depuis 13 ans. Si on regarde les estimations faites continuellement par les institutions, rares sont celles qui citent la culture en elle-même, on parle beaucoup plus des changements de l'image de Bilbao dans le monde grâce au bâtiment de Gehry ou de son potentiel d'attraction touristique.

Aujourd'hui, on voudrait réaliser un projet similaire à Urdaibai mais se pose alors la question fondamentale des répercussions qu'un tel projet pourrait avoir sur la réalité culturelle de la région de Busturialdea. Par exemple, quel impact linguistique aurait la visite annuelle estimée de 148 000 personnes dans une région qui comprend 44 000 habitants ? Si nous projetons sur la région, les statistiques du musée de Bilbao, environ 5 % de ces visiteurs parleront basque, les autres parlant castillan ou un espagnol rudimentaire comme lingua franca. Et cela, dans une des régions les plus bascophones du Pays Basque, autant au niveau de la connaissance de la langue (73 % parlent basque et 17 % le parlent presque couramment) que de son utilisation. N'est-il pas nécessaire de protéger cette langue et la culture qu'elle transmet, qui est un bien public qui existe depuis des milliers d'années ? Au contraire, c'est le Pays Basque qui doit perdre du terrain dans un des endroits où sa culture est la mieux préservée.
La réserve de biosphère d'Urdaibai
Je suis conscient qu'en soulevant cette question, je prends le risque d'être taxé de conservateur frôlant le purisme ou le protectionnisme culturel. Mais je ne suis rien de tout cela. Je pense qu'une culture ne peut survivre que si elle se développe en relation avec d'autres cultures. C'est ainsi que la culture basque et sa langue ont survécu en Busturialdea depuis l'époque de Santimamiٌe (les grottes de Santimamiٌe sont un des sites archéologiques les plus importants du Pays Basque). Mais rien de tout cela n'est envisagé avec le projet Guggenheim. L'anthropologue Guillermo Bonfil a très bien traité la question du moi et de l'autre dans la culture, en distinguant deux niveaux importants : le contrôle (c'est à dire la capacité à prendre des décisions concernant les éléments culturels) et les éléments eux-mêmes (les ressources de la culture). Nous pouvons parler d'une culture autonome selon qui exerce les contrôles et sur quelles ressources : une culture appropriée quand un groupe décide d'incorporer des éléments d'autres cultures ; une culture aliénée quand ce sont les autres qui décident des éléments de celle-ci et enfin une culture imposée quand des éléments étrangers sont imposés par la décision d'autres. Il est évident qu'une culture qui cherche à se développer doit sortir de sa culture autonome et incorporer, de son propre chef, des éléments d'autres cultures.
Mais ce n'est pas le cas avec Guggenheim. Il suffit d'observer la façon dont le projet a été élaboré : selon un rapport du conseil, sa définition conceptuelle a été établie avec un panel international d' "experts" lors d'une première réunion dans les bureaux de la Fondation Solomon R. Guggenheim à New York. Les acteurs basques sont en effet intervenus mais pas avant la 3ème réunion.

Roberto Cearsolo
Il y a lieu de se demander s'il est opportun que le germe du projet se développe au sein de la classe politique et soit réalisé par des personnes totalement étrangères à notre culture. Et la Fondation Guggenheim non seulement n'a pas pas grand-chose à voir avec la culture basque, mais sa relation avec la culture est également plus que douteuse. Si on prend, par exemple, le cas de son directeur pendant 20 ans, Thomas Krens : il a été remercié il y a deux ans par la fondation pour avoir commercialisé et banalisé l'art au point de le ridiculiser ; ou la  médiation entre le PNV (Parti National Basque) et Krens par le ministre italien Gianni De Michelis – qui a fait l'objet, sur une courte période, de 35 poursuites judiciaires et a été condamné à 3 ans d'emprisonnement pour corruption ; et il y a tous ces scandales qui accompagnent le siège social à Bilbao : des six millions d'Euros perdus en devises étrangères au détournement par Cearsolo (viré de son poste de directeur financier du Guggenheim) et à tout ce qui a été découvert par le bureau de vérification basque. C'est sûr qu'on n’aurait pas pu trouver meilleur projet !

Thomas Krens
La relation entre la culture et l'économie n'est pas simple. Cependant, cela ne veut pas dire que l'une et l'autre ne doivent pas se soutenir. De ce point de vue, il est nécessaire d'avoir une approche complètement différente afin de permettre à Busturialdea de se développer économiquement sans avoir un monstre comme Guggenheim qui envahisse l'espace, non seulement naturel mais aussi culturel, que la région a à offrir au Pays Basque et au monde. 


Gianni De Michelis

Sur l’auteur
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