lundi 4 avril 2011

Libye : pourquoi je suis contre l’intervention…

par Rony Brauman, Grotius,  30/3/2011

Ce n’est pas au nom d’un quelconque principe. Ni du fait d’une quelconque posture intellectuelle. Je tente de me situer sur un plan concret, c’est-à-dire humain et politique, celui des conséquences inéluctables et inassumables de cette guerre contre le régime libyen.
On n’installe pas la démocratie et un Etat de droit avec des bombardiers. A chaque fois qu’on a essayé de le faire, non seulement on a échoué, mais le remède que l’on prétendait apporter a été pire que le mal. Je pense à d’autres interventions destinées à prévenir des massacres. Ces opérations d’envergure ont gelé un temps la situation, et les massacres qui se sont produits ultérieurement ont été pires.
Je ne conteste pas que le bombardement des positions libyennes qui tenaient Benghazi en étau aient prévenu un bain de sang. Si le but de cette opération de force était celui-ci, il est atteint. Mais il s’agit bien sûr de tout autre chose, comme ont tenu à le souligner les trois chefs d’état – américain, français et britannique, qui sont à la manœuvre : faire chuter le tyran en pariant sur la débandade de son entourage et d’une partie de ses forces armées sous les coups des missiles de la coalition et sous la pression des insurgés. C’est ce modèle Kosovo que l’on voit se dessiner jour après jour et dont la logique était d’emblée prévisible, dès lors que l’on passait de l’objectif de briser le siège de Benghazi pour empêcher l’assaut imminent à celui de protéger les populations civiles.
Pourquoi pas, dira-t-on, puisque c’est bien une campagne de bombardements aériens – que certains ont alors qualifié d’ « humanitaires » – qui a prévenu au Kosovo un carnage annoncé ? Comparer les deux situations en dehors de la technique militaire montre en quoi elles s’opposent : d’une part, l’Otan puis l’Onu ont pu placer sous tutelle un territoire européen grand comme deux départements français, ce dont il ne saurait en être question en Libye. D’autre part, il y avait au sol les combattants entraînés de l’UCK, disposant de bases en Albanie et prête à prendre le pouvoir. Tout cela s’est fait au prix de la fabrication d’un prétendu complot de génocide (le « plan Fer à cheval »), de l’expulsion des Serbes et de la caution de l’Europe et de l’Otan accordée à un pouvoir aux méthodes mafieuses.
Cette victoire militaire, acquise après des dizaines de milliers de sorties aériennes et nombre de « bavures », est-elle le modèle de cette guerre dont l’Otan prend à nouveau les commandes ? J’en suis convaincu parce que cela fut suggéré très tôt avec insistance et c’est pour cette raison que j’y vois la promesse d’un bourbier sanglant, les conditions de cette victoire contredisant point par point celles qui se présentent en Libye.
Dire comme certains qu’« il n’y aura pas de Srebrenica » en Libye me paraît dès lors hasardeux et je rappelle que c’est d’abord parce que nous avons fait croire aux Musulmans réfugiés à Srebrenica qu’ils étaient sous « protection internationale » qu’ils se sont regroupés dans cette nasse et y sont restés jusqu’à ce que l’enclave soit sacrifiée aux forces de Mladic. Nous nous engageons dans un engrenage qui conduit à d’autres Srebrenica, sans parler des « bombes de trop », inéluctables, bref d’une réaction en chaîne incontrôlable… Entre justiciers planétaires et non-interventionnistes de principe, mais pas moins soucieux que d’autres du sort des Libyens, je tente- je le répète, de me situer sur un plan concret, c’est-à-dire humain et politique.


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