lundi 31 octobre 2011

L'accord signé ne fait que prolonger l'agonie de l'euro

par Jacques Sapir - Tribune | Jeudi 27 Octobre 2011

Les dirigeants de la zone euro ont conclu un accord, vers 4 heures ce jeudi matin, pour tenter de sauver l'euro. Pourtant, selon Jacques Sapir, ce plan anticrise est le « pire accord envisageable », car il va contribuer à nous plonger encore davantage dans la récession et priver l'Europe de son indépendance. D'autant plus qu'il ne suffira pas à sauver la Grèce.

L'accord réalisé cette nuit ne fera que prolonger l'agonie de l'Euro car il ne règle aucun des problèmes structurels qui ont conduit à la crise de la dette. Mais, en plus, il compromet très sérieusement l'indépendance économique de l'Europe et son futur à moyen terme. C'est en fait le pire accord envisageable, et un échec eût été en fin de compte préférable.Nos gouvernements ont sacrifié la croissance et l'indépendance de l'Europe sur l'autel d'un fétiche désigné Euro.
Dessin : Louison 
HUIT MESURES ACTÉES
Si nous reprenons les mesures qui ont été actées nous avons :

1. Une réduction partielle de la dette mais ne touchant que celle détenue par les banques. Autrement dit c'est 100 milliards qui ont été annulés et non 180 (50% de 360 milliards). Cela ne représente que 27,8%. La réalité est très différente de ce qu'en dit la presse. Cela ramènera la dette grecque à 120% en 2012, ce qui est certes appréciable mais très insuffisant pour sortir le pays du drame dans lequel il est plongé.

2. Le FESF va se transformer en « fonds de garantie » mais sur les 440 milliards du FESF, seuls 270 milliards sont actuellement « libres ». Comme il faut garder une réserve c'est très probablement 200 milliards qui serviront à garantir à 20% les nouveaux emprunts émis par les pays en difficultés. Cela représente une capacité de 1000 milliards d'emprunts (200 / 0,2). C'est très insuffisant. Barroso avait déclaré qu'il fallait 2200 milliards et mes calculs donnaient 1750 milliards pour les besoins de la Grèce (avant restructuration) du Portugal et de l'Espagne. Cet aspect de l'accord manque totalement de crédibilité.

3. La recapitalisation des banques est estimée à 110 milliards. Mais, l'agence bancaire européenne (EBA) estimait ce matin la recapitalisation à 147 milliards (37 de plus). De plus, c'est sans compter l'impact du relèvement des réserves sur les crédits (le core Tier 1) de 7% à 9% qui devra être effectif en juin 2012. Il faudra en réalité 200 milliards au bas mot, et sans doute plus (260 milliards semblent un chiffre crédible). Tout ceci va provoquer une contraction des crédits (« credit crunch ») importante en Europe et contribuer à nous plonger en récession. Mais, en sus, ceci imposera une nouvelle contribution aux budgets des États, qui aura pour effet de faire perdre à la France son AAA !

4. L'appel aux émergents (Chine, Brésil, Russie) pour qu'ils contribuent via des fonds spéciaux (les Special Vehicles) est une idée très dangereuse car elle va enlever toute marge de manœuvre vis à vis de la Chine et secondairement du Brésil. On conçoit que ces pays aient un intérêt à un Euro fort (1,40 USD et plus) mais pas les Européens. La Russie ne bougera pas (ou alors symboliquement) comme j'ai pu le constater moi-même lors d'une mission auprès du gouvernement russe en septembre dernier.

5. L'engagement de Berlusconi à remettre de l'ordre en Italie est de pure forme compte tenu des désaccords dans son gouvernement. Sans croissance (et elle ne peut avoir lieu avec le plan d'austérité voté par le même Berlusconi) la dette italienne va continuer à croître. 

6. La demande faite à l'Espagne de « résoudre » son problème de chômage est une sinistre plaisanterie dans le contexte des plans d'austérité qui ont été exigés de ce pays.

7. L'implication du FMI est accrue, ce qui veut dire que l’œil de Washington nous surveillera un peu plus... L’Europe abdique ici son « indépendance ».

8. La BCE va cependant continuer à racheter de la dette sur le marché secondaire, mais ceci va limiter et non empêcher la spéculation.

LES PIÈTRES CONCLUSIONS QUE L'ON PEUT EN TIRER...

Au vu de tout cela on peut d'ores et déjà tirer quelques conclusions : 
- Les marchés, après une euphorie passagère (car on est passé très près de l'échec total) vont comprendre que ce plan ne résout rien. La spéculation va donc reprendre dès la semaine prochaine dès que les marchés auront pris la mesure de la distance entre ce qui est proposé dans l'accord et ce qui serait nécessaire. 
- Les pays européens se sont mis sous la houlette de l'Allemagne et la probable tutelle de la Chine. C'est une double catastrophe qui signe en définitive l'arrêt de mort de l'Euro. En fermant la porte à la seule solution qui restait encore et qui était une monétisation globale de la dette (soit directement par la BCE soit par le couple BCE-FESF), la zone Euro se condamne à terme. En recherchant un « appui » auprès de la Chine, elle s'interdit par avance toute mesure protectionniste (même Cohn-Bendit l'a remarqué....) et devient un « marché » et de moins en moins une zone de production. Ceci signe l'arrêt de mort de toute mesure visant à endiguer le flot de désindustrialisation. 
- Cet accord met fin à l'illusion que l'Euro constituait de quelque manière que ce soit une affirmation de l'indépendance de l'Europe et une protection de cette dernière.

Pour ces trois raisons, on peut considérer que cet accord est pire qu'un constat d'échec, qui eût pu déboucher sur une négociation concertée de dissolution de la zone Euro et qui aurait eu l'intérêt de faire la démonstration des inconséquences de la position allemande, mais qui aurait préservé les capacités d'indépendance des pays et de l'Europe.

Les conséquences de cet accord partiel seront très négatives. Pour un répit de quelques mois, sans doute pas plus de six mois, on condamne les pays à de nouvelles vagues d'austérité ce qui, combiné avec le « credit crunch » qui se produira au début de 2012, plongera la zone Euro dans une forte récession et peut-être une dépression. Les effets seront sensibles dès le premier trimestre de 2012, et ils obligeront le gouvernement français à sur-enchérir dans l'austérité, provoquant une montée du chômage importante. Le coût pour les Français de cet accord ne cessera de monter. 

Politiquement, on voit guère ce que Nicolas Sarkozy pourrait gagner en crédibilité d'un accord où il est passé sous les fourches caudines de l'Allemagne en attendant celles de la Chine. Ce thème sera exploité, soyons-en sûrs, par Marine Le Pen avec une redoutable efficacité. Il importe de ne pas lui laisser l'exclusivité de ce combat.
La seule solution, désormais, réside dans une sortie de l'euro, qu'elle soit négociée ou non.

Jacques Sapir, né en 1954 à Puteaux, est un économiste français. Depuis  1996 Il est directeur d'études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, où il dirige le Centre d'études des modes d'industrialisation (CEMI-EHESS) et a été le responsable de la formation doctorale « Recherches comparatives sur le développement » jusqu’en 2006. C'est un expert des problèmes de l'économie soviétique puis russe et des questions stratégiques, mais aussi un théoricien de l'économie qui s'est fait remarquer par des positions hétérodoxes très marquées sur plusieurs sujets et un engagement politique à la gauche de la gauche. Il a pris publiquement position pour la "démondialisation" et s'interroge aujourd'hui sur le futur de la zone Euro et l'éventuelle nécessité pour la France de devoir sortir de l'Euro. Biographie détaillée 

Bibliographie
  • Pays de l'est : vers la crise généralisée ?, Federop, Lyon, 1980
  • Travail et travailleurs en URSS, La Découverte, Paris, 1984
  • Le Système militaire soviétique, La Découverte, Paris, 1988 (Prix Castex en 1989). Cet ouvrage a été publié en anglais en 1991
  • L'Économie mobilisée, La Découverte, Paris, 1989
  • Les Fluctuations économiques en URSS, 1941-1985, Paris, Éditions de l'EHESS, 1989
  • Feu le système soviétique ?, La Découverte, Paris, 1992
  • Le Chaos russe, La Découverte, Paris, 1996
  • La Mandchourie oubliée : grandeur et démesure de l'art de la guerre soviétique, Éditions du Rocher, 1996.
  • Le Krach russe, La Découverte, Paris, 1998
  • Les Trous noirs de la science économique : essai sur l'impossibilité de penser le temps et l'argent, Albin Michel, Paris, 2000 (Prix Turgot en 2001)
  • K Ekonomitcheskoj teorii neodnorodnyh sistem - opyt issledovanija decentralizovannoj ekonomiki (Théorie économique des systèmes hétérogènes: essai sur l'étude des économies décentralisées), Éditions du Haut Collège d'économie, Moscou, 2001 (ouvrage original, non traduit en français)
  • Les Économistes contre la démocratie, Albin Michel, Paris, 2002
  • Quelle économie pour le XXIe siècle ?, Odile Jacob, Paris, 2005
  • La Fin de l'eurolibéralisme, Le Seuil, 2006
  • Le nouveau XXIe siècle, du siècle américain au retour des nations, Le Seuil, 2008
  • « The social roots of the financial crisis : implications for Europe » in C. Degryze, (ed) Social Developments in the European Union : 2008, ETUI, Bruxelles, 2009
  • Ch. 8, « Le vrai sens du terme. Le libre-échange ou la mise en concurrence entre les Nations » et Ch.9, « La mise en concurrence financière des territoires. La finance mondiale et les États » in D. Colle, (ed.), D’un protectionnisme l’autre – La fin de la mondialisation , Presses Universitaires de France, 2009
  • 1940 - Et si la France avait continué la guerre..., Tallandier, 2010. Co-écrit avec Franck Stora et Loïc Mahé.
  • « La démondialisation », Le Seuil, 2011

dimanche 30 octobre 2011

L’accord du sommet européen des 26-27 octobre 2011 est inacceptable The agreement of the 26/27 October 2011 European summit meeting is unacceptable Η συμφωνία της ευρωπαϊκής συνάντησης κορυφής στις 26-27 Οκτωβρίου είναι απαράδεκτη Es inaceptable el acuerdo de la cumbre europea de los días 26 y 27 de octubre de 2011 O acordo da cimeira europeia é inaceitável

par Pascal Franchet- Giorgos Mitralias Γιώργος Μητραλιάς-Griselda Piñero-Éric Toussaint, CADTM, 28/10/2011 


L’accord intervenu à l’aube du 27 octobre 2011 n’apporte pas de solution à la crise de la zone euro tant sur le plan de la crise bancaire que sur celui de la dette publique souveraine ou de l’euro. Les décisions qui sont intervenues reportent les échéances sans résoudre les problèmes de manière satisfaisante. Le CADTM considère que cet accord est inacceptable.
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The agreement made at dawn on the 27th October 2011 brings no solution to the eurozone crisis, neither to the banking crisis, the sovereign debt crisis or the euro crisis. The decisions taken do not solve any of the problems in an acceptable way, they only postpone them. CADTM considers this agreement unacceptable.
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Η συμφωνία που επιτεύχθηκε την αυγή της 27ης Οκτωβρίου 2011 δεν επιλύει τη κρίση του κυρίαρχου δημόσιου χρέους ή του ευρώ. Οι αποφάσεις που πάρθηκαν αναβάλουν για αργότερα την ώρα της αλήθειας χωρίς να λύνουν τα προβλήματα με ικανοποιητικό τρόπο. Η CADTM θεωρεί ότι αυτή η συμφωνία είναι απαράδεκτη.
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El acuerdo alcanzado en la madrugada del 27 de octubre de 2011 no aporta ninguna solución a la zona euro respecto a la cuestión de la crisis bancaria, de la deuda pública soberana o del euro. Las decisiones a las que se ha llegado postergan los problemas sin resolverlos satisfactoriamente. El CADTM considera que este acuerdo es inaceptable.
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O acordo concluído na madrugada de 27 de Outubro de 2011 não representa uma solução para a crise da zona Euro tanto no plano da crise bancária quanto no da dívida soberana ou do Euro. As decisões que foram tomadas adiam os problemas sem os resolver de forma satisfatória. O CADTM considera que este acordo é inaceitável. 
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samedi 29 octobre 2011

Amérique Latine - Croissance, stabilité et inégalités : leçons pour les USA et l’Europe

Les médias dominants et les personnes éduquées décrivent l’Amérique latine comme une région de fréquents coups d’État, de révolutions périodiques, de dictatures militaires, avec une alternance de booms et de fiascos économiques et la présence éternelle du Fonds Monétaire International (FMI) pour lui dicter sa politique économique.
A l’opposé, les mêmes faiseurs d’opinion, ainsi que leurs homologues universitaires, présentent les États-Unis et l’Europe comme des sociétés stables avec des croissances économiques régulières, une amélioration progressive des acquis sociaux, des compromis consensuels pour résoudre les problèmes et des pratiques fiscales saines.
Récemment, au cours de la plus grande partie de la dernière décennie, ces images sont devenues des dogmes idéologiques qui n’ont plus rien à voir avec la réalité. En fait, on peut dire que les rôles se sont inversés : les États-Unis et l’UE sont en crise perpétuelle et l’Amérique latine, au moins pour la plus grande partie, jouit d’une stabilité et d’une croissance qui fait envie (ou devrait faire envie) aux experts de Washington et aux commentateurs financiers. Ce ’renversement des rôles’ est reconnu par beaucoup d’investisseurs et de multinationales étasuniennes, européennes et asiatiques, alors même que les journalistes soi-disant respectables du Financial Times, New York Times et Wall Street Journal continuent de parler de la fragilité, du déséquilibre et d'autres failles de la région -tout en reconnaissant à contrecœur le dynamisme de sa croissance.

Les cercles progressistes sont aussi fautifs, car ils se concentrent sur les ’avancées’ des régimes de gauche mais ignorent les dynamiques souterraines qui affectent la plus grande partie de la région et perdent ainsi de vue les nouveaux points de conflit et de dispute.

Notre projet est de mettre en lumière ce qui oppose le "Nord" (États-Unis/UE) en crise au "Sud" (Amérique du sud) dont la croissance est soutenue. On se demandera s’il est possible de transférer l’expérience de l’Amérique du sud au nord et quels ’ajustements structurels’ seraient nécessaires pour extirper les États-Unis et l’UE de la spirale néfaste de la stagnation et des violents conflits qui ont caractérisé ces deux régions pendant la plus grande partie de la dernière décennie.

Crise de la dette: La Chine à la rescousse... sous conditions

Bas van der Scho
La zone euro recherche un soutien financier des pays émergents, notamment de la Chine. Une perspective redoutée par de nombreux Européens. Côté chinois, le Global Times affirme que tout accord se fera sur la base du donnant-donnant
Le 27 octobre, les responsables européens sont parvenus à un accord pour réduire la dette grecque. Ils attendent de pays riches en liquidités et extérieurs à l’UE qu’ils financent en partie leur plan de renflouement. La Chine, disposant de la plus grande réserve de devises étrangères, est aujourd’hui une cible prioritaire.
L’Europe développée se tourne vers la Chine en quête de liquidités. Ce qui en dérange plus d’un tant en Europe qu’en Chine. Certains Européens soutiennent que l’UE n’en est pas rendue au point de mendier auprès de Pékin. Apparemment, là-bas, beaucoup estiment que l’UE devrait réclamer des fonds à la Chine, sans pour autant lui proposer de contrepartie.
Le débat fait rage en Chine aussi
En Chine, les débats font rage. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi la Chine devrait tendre la main à l’Europe, quand la ville de Wenzhou se trouve elle-même endettée.
Pékin et Bruxelles ne sont pas unis par des liens d’une amitié indéfectible au point de pouvoir tendre sans hésiter la main à l’autre dès qu’il traverse une crise. Les deux camps se livrent pour l’heure à des calculs. Un scénario encore compliqué par les opinions publiques – de part et d’autre, on trouve des analystes qui, au mépris du professionnalisme, préfèrent flatter les bas instincts d’un populisme hystérique.
Peut-être l’ampleur de la participation chinoise au plan de renflouement de la zone euro a-t-elle été décidée au nom de l’intérêt commun, tout en tenant compte de la méfiance mutuelle entre les deux parties.
La Chine ne peut se tenir à l’écart, puisque ses intérêts sont étroitement liés à l’Europe par la mondialisation. Mais d’un autre côté, la Chine ne va pas offrir une “grosse surprise” à l’Europe. Même les économies plus saines au sein de la zone euro répugnent à aider la Grèce. En tant qu’acteur extérieur, Pékin ne peut résoudre un problème que seuls les membres de la zone euro sont en mesure de régler.
Si l’UE tient vraiment à obtenir le financement de la Chine, elle doit envisager d’ouvrir davantage son marché aux produits chinois, tout en acceptant la position de la Chine en tant qu’économie de marché. Si Bruxelles estime qu’il ne vaut pas la peine de passer des “arrangements” de ce type, la Chine ne fera rien pour l’y contraindre.
L'Europe fait figure de pingre
Pour les Chinois, c’est faire preuve d’ignorance que d’établir un lien entre le plan de renflouement de la zone euro et la crise de la dette de Wenzhou. Le premier concerne l’usage que fait Pékin de sa réserve de devises étrangères, qui ne peut pas servir à sauver les entreprises abandonnées par des patrons en fuite à Wenzhou. En tant que puissance mondiale, la Chine devrait aider ceux qui ont été touchés par une crise ou une catastrophe. Les Chinois devraient comprendre qu’un pays qui ne se préoccupe que de ses intérêts en faisant fi de la moralité finira par être détesté.
Mais les Européens devraient, eux, s’interroger sur eux-mêmes au lieu de reprocher à la Chine de jouer les pingres. Ils rejettent le système chinois et ne veulent pas exporter de technologies en Chine. Chaque fois qu’une entreprise chinoise investit en Europe, l’opinion publique locale s’enflamme. Ils redoutent que la Chine n’en apprenne trop auprès d’eux et qu’elle n’ait ainsi encore plus de succès. Tout ce qu’ils veulent, c’est se reposer sur leurs anciens acquis tout en restant aux commandes.
Avec une telle mentalité, c’est l’Europe qui fait figure de pingre. Il ne faut pas trop politiser la participation chinoise au plan de renflouement de la zone euro. Elle devrait se dérouler dans un cadre civilisé, dont les règles tacites seraient claires pour les deux parties.
Point de vue
Une contrepartie cher payée
L'Europe "courtise le dragon" pour sauver la zone euro, titre Gazeta Wybrocza. Mais pour le quotidien polonais, cette aide ne pourra être reçue qu'au prix fort. "L'Europe met tous ses espoirs dans la Chine. Un pays qui détient le record mondial du nombre d'exécutions de peine capitale et qui envoie ses dissidents politiques dans des camps de travail. Un Etat qui persécute les Tibétains et le peuple ouïghour et qui censure l'Internet."
"Alors qu'ils comptent sur la Chine pour renforcer le FESF, les responsables européens devraient répondre à une question simple", écrit Gazeta Wybrocza. "S'ils prennent les milliards [de la Chine] pour sauver la Grèce ou l'Italie, auront-ils toujours le courage de condamner le non respect des droits de l'homme au Tibet ou dans le Xinjiang ? (...) L'Europe doit redouter que Pékin refuse de l'aider ou alors elle devra tout simplement se sentir un peu stupide car il n'est pas possible de demander de l'aide à quelqu'un tout en lui donnant des leçons de morale."
Source: Preseurop, The Global Times, Beijing,  le 28 octobre 2011

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jeudi 27 octobre 2011

Le mouvement Occupy : le principe indignation




  

New-York, Londres, Francfort : de plus en plus de gens contestent la finance. Mais comment un sentiment d’injustice mondialement partagé se transformera-t-il en mouvement homogène ?
Le masque de Guy Fawkes, dont l’attentat contre le Parlement anglais, en 1605, se solda par un échec a été popularisé par le collectif Internet Anonymous pour protéger son identité. Désormais ce sont les « occupy » qui le portent dans le monde entier. Photo dpa

Au cours d’une de ces nuits où l’on entend le vent hurler entre les immeubles du quartier de la finance à Francfort, Claudia Keht est déjà assise à s’indigner, une fois de plus, sur un banc de bois. Elle a 25 ans et parle de la crise de la dette, du mécanisme de stabilisation, du déficit démocratique. La jeune femme s’enroule plus étroitement dans sa couverture, il fait froid. Mais elle continue à débattre des temps nouveaux. Avec des gens qu’elle n’avait encore jamais vus il y a quelques jours.

`Claudia Keht est l’une de ces dizaines de personnes qui la semaine dernière ont dressé leurs tentes ici, tout près des centrales des grandes banques «  Ce qu’il y a de plus beau», dit-elle, « c’est de ne plus être seule face à tout ça.» Et de fait, chaque soir, des centaines de gens se rassemblent ici entre les tours. Des jeunes et des vieux, bruyants ou discrets, antifascistes et antinucléaires, altermondialistes, utopistes, étudiants, enseignants, employés. Ils viennent de la ville et de la campagne, de Hesse et de Souabe. Ils sont tous des « Occupy Francfort ».
Contre l’arbitraire policier et pour un impôt sur les riches : New-York, Wall Street.Photo Reuters.
Une partie de ce mouvement mondial qui a mobilisé le week-end dernier des centaines de milliers de gens. 5 000 à Francfort, 5 000 à Londres, 10 000 en Espagne, 200 000 à Rome. Pas de leaders à ces manifestations, rien qu’un sentiment commun : l’indignation de vivre dans un pays qui dépense plus d’argent pour les banques que pour les gens. Cette protestation a surpris le monde politique, qui s’est senti dépassé.

Finalement, voici quelques semaines seulement, le mouvement se réduisait à quelques centaines de manifestants qui s’étaient rassemblés à New York pour former le mouvement “Occupy Wall Street” . Des rêveurs irréalistes - mais qui ont en ce moment le vent en poupe. Et sans doute aussi le soutien de la majorité silencieuse. Mais comment utiliser cette force? Comment transformer un sentiment mondialement partagé, une masse hétérogène, en mouvement homogène? Unifier, voilà le grand défi auquel sont confrontés les villages de tentes qui se sont dressés de par le monde la semaine dernière.
« Bien sûr que c’est fatigant »
« Nous partons de zéro, nous n’avons aucun préjugé » dit Claudia Keht. « Mais nous sommes d’accord sur un point : ça ne peut pas continuer comme ça.» Même en l’absence de toute hiérarchie, « Occupy Francfort » a développé dès les premiers jours une organisation qui fonctionne étonnamment bien, il y a des groupes de travail et des ateliers, quelqu’un propose d’élaborer de nouveaux tracts ou de débattre sur le système éducatif, et tout de suite 15 à 35 personnes sont prêtes à participer. Tous les midis et tous les soirs il y a des « asambleas » -les militants appellent ainsi leurs réunions inspirées des Espagnols, les premiers Européens en colère à en tenir, cet été à la Puerta del Sol à Madrid.

"Fin de partie" : manif en costume-cravate, Cathédrale Saint-Paul, Londres. Photo Reuters
Comme il ne fait pas aussi beau à Francfort en octobre qu’en Espagne au mois de mai, cent personnes s’entassent pour  « l’asamblea » d’aujourd’hui dans les sous-sols du théâtre proche. Pendant qu’on joue sur scène la farce de George Tabori « Mein Kampf », un jeune homme portant un bouc est assis à la cafétéria devant un tableau à feuillets mobiles. C’est Seba, il expose les règles de « l’asamblea ». Tout le monde a le droit de dire ce qu’il veut, il y a de listes d’intervenants et des temps de parole. Quand on approuve, on agite la main en l’air, quand on désapprouve, on croise les bras devant son visage. Exactement comme à New York, Londres, Rome, Sao Paulo et Helsinki, ce sont les codes mondiaux du mouvement.

Une « asemblea » est pourtant une longue histoire, qui ne se termine que quand tout le monde agite les mains, car on procède par consensus. Les militants utilisent surtout les nouveaux médias. On trouve donc sur le site du mouvement les revendications des manifestants, un livestream des actions et les dates à retenir pour les militants. En outre des sympathisants ont créé un nouveau site. Sous l’intitulé « Nous sommes les 99% », des centaines de personnes décrivent l’impact de la crise sur leurs conditions de vie. Les militants appellent à des actions et manifestations via Twitter ou Facebook. À la différence du mouvement des « Occupy » dans le monde réel, ce réseau virtuel a un centre.

Assis dans le parc Zuccotti à New-York sous un parapluie rose, de jeunes gens tapent sur leurs portables. Quelques-uns portent des masques à l’effigie stylisée de l’Anglais Guy Fawkes, qui voulait faire sauter en 1605 le roi et le Parlement. Son visage est devenu une sorte de marque de fabrique mondiale du mouvement. Dans tous les coins des contestataires font des discours ou grattent des guitares. L’équipe médias du mouvement s’occupe de Twitter et Facebook, sert d’observatoire de la couverture du mouvement par les médias grand public, coordonne les retransmissions sur Internet et informe le monde des évènements en temps réel. L’équipe médias du parc Zuccotti n’est que la partie émergée de l’iceberg, selon le journaliste free lance Michael Premo. Dans toute la ville, de centaines de sympathisants des « occupy » travaillent dans des bureaux et des appartements à orchestrer une campagne médiatique. Outre ces activités en réseau, il existe désormais un journal papier des Occupy « Au fond nous sommes une structure d’information multimédia complète » , dit Premo.

Les militants utilisent en outre des programmes comme l’application «Vibe» d’iPhone qui permettent d’entrer en communication anonymement avec un grand nombre de gens se trouvant à proximité. Les manifestants peuvent ainsi se mettre d’accord en temps réel sans être écoutés ou reconnus par la police, comme c’est le cas pour les appels téléphoniques ou SMS. La police n’est pas tendre ave les manifestants, mais les ceux-ci lui répliquent avec les armes de l’Internet : des hackers du groupe Anonymous ont par exemple publié l’adresse, le numéro de portable et des données sur la famille d’un policier qui a paraît-il agressé sans sommation des manifestantes avec une bombe au poivre.

L’organisation new-yorkaise dans le monde réel est elle aussi stupéfiante. Un grand tableau noir portant un calendrier détaillé de la semaine est adossé à une table. C’est un programme est à plein temps, un meeting y est prévu chaque jour pour 6 à 10 groupes de travail. À onze heures a lieu la rencontre d’un groupe « médias », à une heure c’est celui des femmes, à deux heures un collectif qui établit des contacts avec d’autres organisations politiques. Et à 19 heures, comme chaque jour, assemblée générale.

«  Le principe est très simple », dit Michael Premo. «  Les gens viennent ici, au parc Zuccotti, et demandant ce qu’ils peuvent faire. Et il y a une place pour tous, peu importe si on aide à la cuisine ou si on est avocat à même de conseiller les gens qui ont été arrêtés et doivent être jugés. »

Au bout d’un mois de manifestations le village des « occupy » est un ensemble social bien rodé, une ville dans la ville, bien préparée à s’incruster dans le cœur du capitalisme financier.

Le mouvement voulait s’incruster aussi à Londres. De préférence devant le London Stock Exchange, la Bourse londonienne. Une action sans aucun doute bien en phase avec le modèle « Occupy Wall Street » de New York. Mais la police avait bloqué à temps l’accès à la place et les manifestants se sont installés une bonne centaine de mètres plus loin, devant la cathédrale Saint-Paul, qui leur a donné sa bénédiction à condition de rester pacifiques.

  
"Indignez-vous !"  

"Maintenant ça pète !"
Des milliers de Berlinois ont participé le samedi 15 octobre à la journée mondiale de protestation United for global change en manifestant dans le quartier gouvernemental. Des milliers d'autres ont manifesté dans le reste de l'Allemagne. Photos dpa

Une demande qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Près de 300 tentes parfaitement alignées, même la distance minimale entre voisins a été respectée. « Instruction des pompiers », dit Natalie, 29 ans, ex-secrétaire qui ne veut pas donner son nom de famille. «Le dernier incendie ici remonte sans doute à plusieurs siècles, mais nous ne voulons pas être agressifs ».

Le vendredi après-midi, le campement s’est tellement étendu que l’administration de l’église l’a fermée au public, une première depuis la Seconde guerre mondiale. Les feux en plein air et les accès bloqués représenteraient un danger pour les pèlerins, touristes et fidèles.
 « Notre maison, ce sont les places »
 À Londres comme ailleurs les adversaires de l’ordre ancien s’en sont immédiatement donné un nouveau : pas de violence, l’alcool est honni, et deux fois par jour les manifestants tiennent une assemblée plénière où ils travaillent à mettre sur pied des réseaux radio et des toilettes mobiles et préparent les prochaines actions. Si des questions particulières se posent, on vous adresse aux groupes spécialisés, « médias » ou  « finances» - les derniers s’occupant des dons. Il y a en outre une tente-point info, une zone « Premiers secours » une cantine et une bibliothèque en plein air - entendez des piles des livres sur une table.

Les objectifs des « campeurs » sont moins structurés que leur logistique, même s’ils s’accordent pour rejeter collectivement « le régime actuel, non soutenable, injuste et antidémocratique » et le pouvoir des grandes banques. Liz, 21 ans, arbore sur sa tente une affiche qui attire l’attention sur le problème de la prostitution enfantine dans le monde. Un professeur d’anthropologie en retraite établit des parallèles sur la place Saint-Paul avec la place Tahrir et souhaite la chute du capitalisme. Natalie serait déjà bien contente si l’on imposait une séparation entre les banques de dépôt et d’investissement. Même le Chancelier de l’Échiquier, le conservateur George Osborne, y souscrirait : il veut qu’elle soit effective en 2019.

L’ « asamblea » de Francfort se préoccupe elle aussi de professions de foi plutôt fondamentales. Minuit approche et quelqu’un veut abolir le capitalisme, d’autres plaident pour une interdiction des actifs pourris, d’autres encore ignorant de quoi il s’agit. Et cela dure des heures. Taxe sur les transactions financières, augmentations réelles des salaires, lutte contre la gentrification [phénomène urbain d'embourgeoisement. Processus par lequel le profil économique et social des habitants d'un quartier se transforme au profit exclusif d'une couche sociale supérieure, NdE]

« Nous devons nous prononcer haut et fort pour la non-violence », dit tout à coup un jeune homme, Stefan. « Nous ne serons vraiment ouverts à toutes les couches de la société que si nous restons complètement pacifiques. »

«  Et que fais-tu de la désobéissance civile ?» demande un autre.
« La désobéissance civile n’est pas une violence » réplique Stefan.

« Oui à la désobéissance civile, non à la violence », crie une jeune fille, plus loin derrière. toutes les mains s’agitent en l’air. Peu après on ajoute au marqueur noir « non-violence » à la liste que les militants ont collée provisoirement sur un panneau d’affichage.

Ce type de mouvement peut-il être efficace? Peut-il aussi passer l’hiver ?

 Piotr Lewandowski sourit. Ce Polonais né en Espagne a 22 ans. Après son licenciement d’une usine de cartonnages il est allé à pied de Santander à Madrid puis a continué à travers la France jusqu’à Bruxelles pour atterrir ici, à Francfort. Largement 2 500 km. Rien qu’entre Santander et Madrid il a tenu avec ses copains plus de 500 « asambleas » dans de petits villages, appelé les gens à participer à la lutte contre des autorités qui font ce que bon leur semble. Et Lewandowski termine : «  Tu dresses une tente, et un jour elle devient ta maison. Nos maisons, ce sont les places. Ils ne pourront plus faire la sourde oreille. »

France : Appel pour un audit citoyen de la dette publique

Lancement de l'audit citoyen de la dette publique

Aujourd'hui 26 octobre, le Collectif national pour un audit citoyen de la dette publique publie son appel constitutif. Il invite tous les citoyens à signer cet appel et à s'engager dans la démarche de l'audit citoyen pour que la dette publique fasse enfin l'objet d'un vrai débat démocratique, au plan local, national et européen. Le Collectif pour un audit citoyen est composé d'une vingtaine d'organisations syndicales et associatives, et soutenu par plusieurs formations politiques. Il tiendra une conférence de presse à Nice, le 2 novembre à 12h, lors de l'alter-forum qui précèdera et contestera le G20.
        
Signer l'appel : Pour un audit citoyen
 
    Appel pour un audit citoyen de la dette publique

Écoles, hôpitaux, hébergement d'urgence… Retraites, chômage, culture, environnement... nous vivons tous au quotidien l'austérité budgétaire et le pire est à venir. « Nous vivons au-dessus de nos moyens », telle est la rengaine que l'on nous ressasse dans les grands médias. Maintenant « il faut rembourser la dette », nous répète-t-on matin et soir. « On n’a pas le choix, il faut rassurer les marchés financiers, sauver la bonne réputation, le triple A de la France ».

Nous refusons ces discours culpabilisateurs. Nous ne voulons pas assister en spectateurs à la remise en cause de tout ce qui rendait encore vivables nos sociétés, en France et en Europe. Avons-nous trop dépensé pour l’école et la santé, ou bien les cadeaux fiscaux et sociaux depuis 20 ans ont-ils asséché les budgets ? Cette dette a-t-elle été tout entière contractée dans l'intérêt général, ou bien peut-elle être considérée en partie comme illégitime ? Qui détient ses titres et profite de l'austérité ? Pourquoi les États sont-il obligés de s'endetter auprès des marchés financiers et des banques, alors que celles-ci peuvent emprunter directement et pour moins cher à la Banque centrale européenne ?

Nous refusons que ces questions soient évacuées ou traitées dans notre dos par les experts officiels sous influence des lobbies économiques et financiers. Nous voulons y répondre nous-mêmes dans le cadre d'un vaste débat démocratique qui décidera de notre avenir commun.

En fin de compte, ne sommes-nous plus que des jouets entre les mains des actionnaires, des spéculateurs et des créanciers, ou bien encore des citoyens, capables de délibérer ensemble de notre avenir ?

Nous nous mobilisons dans nos villes, nos quartiers, nos villages, nos lieux de travail, en lançant un vaste audit citoyen de la dette publique. Nous créons au plan national et local des collectifs pour un audit citoyen, avec nos syndicats et associations, avec des experts indépendants, avec nos collègues, nos voisins et concitoyens. Nous allons prendre en main nos affaires, pour que revive la démocratie.

Premiers signataires :
Marie-Laurence Bertrand (CGT), Jean-Claude Chailley (Résistance sociale), Annick Coupé (Union syndicale Solidaires), Thomas Coutrot (Attac), Pascal Franchet (CADTM), Laurent Gathier (Union SNUI-Sud Trésor Solidaires), Bernadette Groison (FSU), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), Jean-François Largillière (Sud BPCE), Philippe Légé (Économistes atterrés), Alain Marcu (Agir contre le Chômage !), Gus Massiah (Aitec), Franck Pupunat (Utopia), Michel Rousseau (Marches européennes), Maya Surduts (Collectif national pour les droits des femmes), Pierre Tartakowsky (Ligue des droits de l'Homme), Patricia Tejas (Fédération des Finances CGT), Bernard Teper (Réseau Education Populaire), Patrick Viveret (Collectif Richesse)

et Philippe Askénazy (économiste), Geneviève Azam (économiste), Étienne Balibar (philosophe), Frédéric Boccara (économiste), Alain Caillé (sociologue), François Chesnais (économiste), Benjamin Coriat (économiste), Cédric Durand (économiste), David Flacher (économiste), Susan George (écrivain), Jean-Marie Harribey (économiste), Michel Husson (économiste), Stéphane Hessel (écrivain), Esther Jeffers (économiste), Jean-Louis Laville (sociologue), Frédéric Lordon (économiste), Marc Mangenot (économiste), Dominique Méda (sociologue), Ariane Mnouchkine (artiste), André Orléan (économiste), Dominique Plihon (économiste), Christophe Ramaux (économiste), Denis Sieffert (journaliste), Henri Sterdyniak (économiste)…

    Signer l'appel : Pour un audit citoyen 

Tunisie Transit, chroniques d'un pays en transition (6) : Jasmin barbu

Le billet de Hatem Bourial, webdo, 25/10/2011

Les urnes n’ont pas d’état d’âme et, bientôt, le parti “Ennahdha” se prévaudra d’une triple légitimité. Celle du vote populaire d’abord qui confère à ce mouvement une assise incontestable. Légitimité démocratique ensuite, car les élections de l’Assemblée nationale constituante se sont déroulées, selon l’éditorialiste du quotidien “La Presse”, «dans la sérénité, la citoyenneté et une mobilisation électorale jamais égalée dans l’histoire du pays».
Enfin, la légitimité militante du parti “Ennahdha” ne fait aucun doute. Ce qui fut dans le passé le mouvement de la tendance islamique (MTI) peut en effet se prévaloir d’une continuité militante, d’une grande capacité de résistance à la répression et de longues années de clandestinité.
Ainsi, nous savons désormais, pour reprendre un des leitmotivs de la révolution, ce que «le peuple veut…». Nous le savons de manière partielle, mais le verdict final ne devrait pas tarder à tomber et confirmer l’ascendant d’Ennahdha sur l’échiquier politique tunisien.
Ceci était prévisible et ne devrait surprendre personne. Prévisible, car “Ennahdha” a su s’emparer du discours sur la justice sociale et en faire un de ses chevaux de bataille. Prévisible, car la dissolution du RCD ouvrait quasi mécaniquement un boulevard devant ce parti. Prévisible, car la dispersion, la naïveté et l’égoïsme des autres «grandes» formations faisait tout aussi mécaniquement le jeu d’Ennahdha.
Mon propos n’est pas de vous lancer dans une analyse. Ce n’est pas l’esprit de ce billet. Toutefois, je voudrais souligner quelques points pour, comment dire, avoir la conscience tranquille.
En premier lieu, le narcissisme démesuré des chefs des partis laïques a joué un mauvais tour au peuple tunisien. Rongé par l’ambition, revanchards, souvent inconsistants, les ténors de ces mouvements devraient tirer les conséquences de l’échec dans lequel ils ont entraîné leur camp et avoir l’élégance de se retirer.
Leur faute majeure et la suivante : ils ont offert sur un plateau le monopole du discours sur la justice sociale à Ennahdha. Leur faute morale est la suivante : ils ont traité le parti “nahdhaoui” non pas comme un mouvement conservateur qui serait leur adversaire politique, mais comme un ennemi des libertés et une force réactionnaire. Leur faute tactique est la suivante : ils ont produit un discours en décalage avec les réalités du peuple et, en quelque sorte, ont eu l’illusion narcissique d’une démocratie sans le peuple.
Ils sont lourdement sanctionnés, car leurs discours ceux ont été mal reçus partout. Ils ne s’en relèveront que dans le cas où leurs militants respectifs les obligeront à fusionner dans le cadre d’un grand parti débarrassé des ambitions personnelles des chefs actuels.
Ne l’oublions pas : la révolution a été le fait d’une fonction inédite entre la jeunesse, la paysannerie et les nouvelles technologies. Aucun leader n’était impliqué dans cette révolution à laquelle l’UGTT a donné un coup de pouce décisif en appelant à une grève générale le 14 janvier.
Sans vouloir heurter qui que ce soit, une page se tourne aujourd’hui pour plusieurs leaders historiques de l’opposition tunisienne. Il est temps qu’ils laissent les forces vives et les générations montantes s’exprimer. Auront-ils cette sagesse ? J’en doute fort…
Second point que je désire développer : la recomposition du paysage politique va entraîner une nouvelle étape dans la révolution tunisienne. Nous avons connu l’enthousiasme des premiers jours, le chaos des jours suivants puis la confiscation progressive par la classe politique de nos espérances légitimes.
Désormais, la montagne a accouché d’un jasmin barbu et, sous le choc de la défaite, beaucoup de citoyens se disent «Tout ça pour ça ?» et ont peur d’un avenir à l’iranienne. Certains cultivent le cynisme amer au point de proposer d’offrir à “Ennahdha” l’ancien siège du RCD pour y établir son futur quartier général.
En fait, ce qui importe le plus aujourd’hui, c’est la fondation de contrepoids au parti unique en puissance qui pourrait naître, au fil du temps, avec cette victoire électorale d’Ennahdha. Sinon retour à la case départ et peut-être même regrets éternels…
Aujourd’hui, Bourguiba pourrait bien se retourner dans sa tombe. Ses héritiers destouriens ont trahi en s’appropriant exclusivement son projet moderniste pour le mettre au service de desseins mafieux. Et maintenant, la révolution le trahit, car elle omet les nouveaux zeitouniens au cœur du jeu politique.
Car, au fond, tout cela risque de se transformer en une revanche contre l’héritage bourguibien, contre la dictature de la modernité qu’il avait imposée à une société archaïque, contre nos identités plurielles, contre notre ancrage actuel à l’ouest…
Peut-être qu’en 1955, Salah Ben Youssef aurait pu gagner et mener le pays vers une autre voie ? Peut-être allons-nous poursuivre notre révolution à reculons ? Peut-être tournerons-nous nos vestes une nouvelle fois ? Peut-être, peut-être…
Contentons-nous pour l’heure de humer notre jasmin barbu, notre jasmin voilé, notre jasmin fané, flétri, fauché, immolé non par le feu, mais par nos incapacités à être dans le monde.

Scènes de folie quotidienne dans la Grèce aux temps de la Troïka


Tchavdar

La Grèce aux temps de la Troïka n’a rien à voir avec la Grèce qu’on connaissait. Cinq « Mémorandums » successifs ont achevé sa métamorphose en un pays où les rues se vident juste après le coucher du soleil, les restaurants cherchent désespérément des clients et les magasins des rues commerçantes désertées tombent en ruine.
Mais tout ça n’est que la façade, l’épiphénomène d’une nouvelle réalité qui voit les Grecs eux-mêmes se transformer de fond en comble. Prenons par exemple le café du village, traditionnel « parlement » en miniature où se débattent et se règlent entre autorités locales (le curé, le maitre d’école, le chef de la police…) tous les problèmes du pays. Ce n’est pas seulement que l’irruption des Aganaktismeni (Indignés) sur l’avant-scène sociale et politique des villes et des villages grecs vient d’en bouleverser les hiérarchies. C’est surtout que tout ce monde parle de choses totalement nouvelles dans un langage digne d’une Novlangue venue d’ailleurs. Là où on parlait des querelles des partis politiques, maintenant on débat de… la dette publique et même de la dette dite odieuse et illégitime, en citant des spécialistes étrangers dont la renommée ne devrait pas dépasser des cercles d’initiés !
Il suffit de regarder les gros titres des quotidiens alignés aux devantures des kiosques ou d’entendre les exclamations - et les jurons - des passants pour apercevoir que les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche des Grecs sont pour le moins inédits : troïka, FMI, tonte de la dette, dette odieuse, mémorandum, euro-obligations, BCE, zone euro, faillite… Evidemment, l’explication de tout ce chambardement linguistique est simple : il ne fait que correspondre au bouleversement total du moindre détail de la vie quotidienne des Grecs ! Un bouleversement qui s’effectue en un temps record (seulement un an et demi) et qui, s’il ne se résumait pas à une immense tragédie humaine, pourrait très bien amuser avec la multiplication de scènes de folie quotidienne, dans un pays aux temps de la Troïka.
James Joseph Jacques Tissot , La drachme perdue (1886-1894). Brooklyn Museum
Comme par exemple, quand des milliers des Grecs, soutenus - selon les sondages - par une nette majorité de la population, s’adonnent depuis 3-4 mois à la chasse d’abord des ministres, ensuite des députés et enfin de tous les responsables du parti social-démocrate (PASOK) au pouvoir. Une chasse qui est en train de devenir un sport national car pratiqué du sud (Crète) au nord (Epire) du pays avec un même rituel : les manifestants saccagent sur leur passage les locaux du PASOK mais aussi ceux des députés locaux ayant voté les Memoranda, avant d’aboutir à la mairie où ils invitent le maire et ses conseillers à prendre place à la tribune des… simples citoyens.
Inutile de dire que ce nouveau sport national prend souvent les allures d’une chasse à l’homme quand par exemple le ministre ne s’aperçoit pas à temps des intentions de la foule et insiste à vouloir expliquer les vertus du nouveau Mémorandum qui est rendu nécessaire par l’échec patent du précédent. Alors, la foule se fâche et la suite n’est pas difficile à imaginer…
Par contre, ce qu’il était encore difficile à imaginer il y a peu, ce sont les situations tragicomiques dans lesquelles sont plongés chaque jour les Grecs par les soins des traitements de choc néolibéraux. C’est ainsi que des milliers d’usagers ont eu droit à une semaine cauchemardesque au Metro d’Athènes parce qu’une centaine de ses conducteurs et autres responsables expérimentés de la bonne marche des rames avaient été affectés par le gouvernement … à la surveillance des antiquités du pays ! La raison de cette « folie » ne surprend pas : il fallait coûte que coûte les faire changer de métier afin a) de diminuer jusqu’à 45% leurs salaires et b) de « dégraisser l’Etat Hypertrophique ».
Ce genre de « folies » peuple désormais la vie quotidienne de la population grecque. Un autre fleuron de cet Etat grec hypertrophique : les hôpitaux manquent même de pansements parce qu’ils subissent aussi depuis deux mois le traitement de choc du 4ème et 5ème Mémorandum. Quant aux écoles au moment de la rentrée des classes, seul le mot « ubuesque » sied à leur situation : devant l’impossibilité d’offrir aux élèves leurs livres, le Ministère de l’Education a conseillé à leurs familles d’en faire des photocopies auprès des autorités communales qui se sont pourtant empressées de déclarer qu’elles manquaient cruellement des photocopieuses d’une telle envergure... !
Cependant, la multiplication de ces situations de folie (néolibérale) n’a pas empêché un important ministre de répéter à quatre reprises la déclaration triomphale selon laquelle le gouvernement Papandreou venait de commencer « la de-bolchevisation de l’économie » grecque ! Peut-on donc conclure que tout irait bien dans le meilleur des mondes grecs bolcheviques ? Les grecs auront tout le temps d’y méditer car privés désormais même de leurs passe temps favoris. Faute d’équipes (plusieurs ont fait faillite) et d’argent, leurs championnats tardent à initier la nouvelle saison, tandis que cafés et restaurants sont en train de devenir inabordables pour le commun des mortels. La conclusion est évidente : Il n’y a plus aucun doute, la Grèce sera sauvée…
 

mercredi 26 octobre 2011

Grèce : « un pays en train d’être saigné à blanc et détruit par ceux qui prétendent le sauver »

par Sonia Mitralias Σόνια Μητραλιά
Intervention à la Conférence de Londres contre l’austérité organisée par la Coalition of Resistance (1er octobre 2011).
Je viens de Grèce, un pays en train d’être saigné à blanc et détruit par ceux qui prétendent le sauver, le Fonds Monétaire International, la Banque Centrale Européenne et la Commission Européenne. Après l’adoption, l’application et surtout…l’échec des quatre traitements de choc appelés Memoranda, et l’application actuellement du cinquième, qui est le plus dur et inhumain, la Grèce n’est plus le pays qu’on connaissait : Maintenant, les rues se vident après le coucher du soleil, les restaurants cherchent désespérément des clients et les magasins des rues commerçantes désertées tombent en ruine. Le pourquoi de cette métamorphose est donné par ces quelques chiffres : Les salariés et les retraités ont déjà perdu 30%-50% et parfois même plus de leur pouvoir d’achat. Ce qui a comme conséquence qu’environ 30% des magasins ou 35% des pompes a essence sont fermées pour toujours. Que le chômage atteindra probablement 30% l’année prochaine. Qu’on aura 40% de moins d’hôpitaux et de lits d’hôpitaux, ou que l’Etat grec se trouvant, il y a quelques jours, dans l’incapacité de fournir des livres scolaires à ses écoliers, les invite à en faire des photocopies (!), etc. etc. En somme, que la faim, oui la faim, commence à faire son apparition dans les grandes villes tandis que les suicides se multiplient dans un pays plongé dans le stress et le désespoir…
Cependant, les Grecs ne sont pas seulement désespérés. Ils sont aussi combattifs, ils résistent, ils luttent. Surtout, après l’apparition fin mai 2011 du mouvement des Aganaktismeni, des Indignés Grecs, qui a rempli les places des centaines de villes grecques avec d’énormes foules radicalisées ayant deux mots d’ordre principaux : « On ne doit rien, on ne vend rien, on paye rien ». Et « qu’ils s’en aillent tous »...
Mais attention : résister en Grèce a l’époque de l’austérité barbare des Memoranda n’est pas chose facile. D’abord, à cause de la répression qui est terrible, méthodique, inhumaine. Ensuite, en raison de l’importance de l’enjeu : la Grèce constitue actuellement un cas test mondial, un véritable laboratoire planétaire dans lequel sont testées les capacités de résistance des peuples aux plans d’ajustement structurels aux temps de la grande crise des dettes publiques. En somme, tous les regards, tant de ceux d’en haut comme de ceux d’en bas, sont tournés jour après jour vers ce petit pays européen qui a la malchance d’être devenu le cobaye mondial du néolibéralisme le plus cynique. La conséquence en est que pour faire aboutir la moindre revendication, il faut pratiquement renverser le pouvoir et faire, ni plus ni moins, la révolution !
La leçon que nous tirons de cette situation totalement inédite est que, aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, il n’y a pas de salut a l’intérieur des frontières nationales. Que face à la Sainte Alliance des gouvernants et de ceux d’en haut, la coordination et la mise en réseau des résistances de ceux d’en bas constitue la condition sine qua non de tout espoir de succès ! En mots plus simples, pour que le test grec ne tourne pas a l’avantage de nos bourreaux de la tristement célèbre Troïka, c’est-à-dire le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission Européenne, il faut au plus vite qu’on unisse nos forces, qu’on forme la Sainte Alliance de ceux d’en bas !

NON !
Ce n’est pas donc un hasard que la première conférence internationale contre la dette et les mesures d’austérité ait été organisée à Athènes au début de mai 2011, par l’Initiative grecque pour une commission internationale d’audit de la dette publique, un mouvement, dont je suis membre fondateur. Le grand succès de cette première Conférence internationale nous avait agréablement surpris mais, en réalité, il était doublement prémonitoire : d’abord, parce que deux semaines plus tard, le mouvement des Indignés grecs faisait son irruption sur la scène sociale et politique du pays en occupant la place Syntagma d’Athènes. Ensuite, parce qu’il devenait de plus en plus clair non seulement que la question de dette publique se trouve a la racine des tous les grands problèmes de notre temps, mais que la mobilisation indépendante autour de la demande d’audit de cette dette publique était plus que possible, car elle répondait a une vraie demande populaire !
Je crois que la leçon qu’on peut tirer de l’expérience de l’Initiative grecque pour une Commission d’audit de la dette publique n’est plus valable seulement pour la Grèce. Elle l’est aussi pour tous les autres pays attaqués par les marchés financiers, la Troïka et le capital : l’audit des dettes publiques peut, à première vue, paraitre une activité ingrate, peu attirante et réservée aux spécialistes, mais en réalité elle est capable d’inspirer et même de mobiliser des grandes foules à deux conditions : D’abord, qu’elle soit totalement indépendante des institutions et appuyée par les citoyens mobilisés dans leurs quartiers, leurs lieux de travail et d’étude. Et ensuite, qu’elle vise clairement à identifier la part illégitime de la dette afin de l’annuler et ne pas la payer !
Cinq mois après cette première conférence internationale d’Athènes contre la dette et les mesures d’austérité, on peut mesurer le chemin parcouru : l’Initiative grecque est en train de faire des émules presque partout en Europe, au sud et au nord, a l’ouest comme a l’est. La tâche qu’impose à nous tous une telle situation est manifeste : ces mouvements et ces campagnes autour de l’audit de la dette publique doivent au plus vite se rencontrer et se mettre en réseaux. Et tout cas afin de rendre leur action plus efficace et répondre aux expectatives des populations, avant qu’il ne soit pas trop tard pour tout le monde…
C’est exactement à cette tâche que s’adonne le CADTM, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, dont je suis aussi membre, et qui combine son expertise –fruit de 20 ans de luttes aux côtés des pauvres du Sud de la Planète- avec sa présence sur le terrain de luttes dans plusieurs pays européens. L’apport théorique et pratique du CADTM dans le développement du mouvement contre la dette et l’austérité en Grèce mais aussi dans d’autres pays, a été et reste très important. Mais je crains que pour pouvoir répondre aux nouveaux défis qui nous sont lancés par une situation de véritable guerre a mort entre riches et pauvres, il faudra beaucoup plus que le CADTM, que tous les réseaux internationaux qui se battent avec courage contre la dette et l’austérité. Il faudra beaucoup plus de forces militantes, beaucoup plus d’élaboration programmatique et surtout beaucoup plus de coordination par-delà les frontières nationales.
Je voudrais maintenant terminer avec quelque chose qui me tient à cœur : l’organisation autonome, ou plutôt l’auto-organisation et la lutte des femmes contre la dette et l’austérité. Si les femmes sont les premières victimes de l’agression néolibérale en cours contre les salariés et toute la société, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont licenciées en masse et les premières. C’est surtout parce que ce qui constitue un pilier de cette agression, c’est-à-dire la destruction et la privatisation des services publics, a comme conséquence directe que les femmes sont obligées d’assumer en famille les tâches d’utilité publique assumées jusqu’à hier par l’Etat. En somme, les femmes sont désormais appelées a assurer chez elles, en privé, les services offerts jadis par les jardins d’enfants, les hôpitaux, les hospices pour vieillards, les caisses de chômage, les asiles psychiatriques, et même par la sécurité sociale. Et tout ca absolument gratis ! Et en plus, tout ca enveloppé dans l’emballage idéologique d’un retour forcé a la maison et a la famille imposé par une prétendue « nature » de la femme acceptée seulement comme… l’esclave obéissante des autres ! En somme par un retour au patriarcat le plus abject, qui est d’ailleurs combiné avec une attaque frontale contre les quelques droits qui nous restent, à nous femmes…
Ma conclusion sera catégorique : voilà pourquoi les femmes doivent s’organiser de façon autonome pour lutter contre la dette et l’austérité. Si elles ne le font pas, il n’y aura personne d’autre qui le fera à leur place…
Je vous remercie.