mercredi 26 octobre 2011

Grèce : « un pays en train d’être saigné à blanc et détruit par ceux qui prétendent le sauver »

par Sonia Mitralias Σόνια Μητραλιά
Intervention à la Conférence de Londres contre l’austérité organisée par la Coalition of Resistance (1er octobre 2011).
Je viens de Grèce, un pays en train d’être saigné à blanc et détruit par ceux qui prétendent le sauver, le Fonds Monétaire International, la Banque Centrale Européenne et la Commission Européenne. Après l’adoption, l’application et surtout…l’échec des quatre traitements de choc appelés Memoranda, et l’application actuellement du cinquième, qui est le plus dur et inhumain, la Grèce n’est plus le pays qu’on connaissait : Maintenant, les rues se vident après le coucher du soleil, les restaurants cherchent désespérément des clients et les magasins des rues commerçantes désertées tombent en ruine. Le pourquoi de cette métamorphose est donné par ces quelques chiffres : Les salariés et les retraités ont déjà perdu 30%-50% et parfois même plus de leur pouvoir d’achat. Ce qui a comme conséquence qu’environ 30% des magasins ou 35% des pompes a essence sont fermées pour toujours. Que le chômage atteindra probablement 30% l’année prochaine. Qu’on aura 40% de moins d’hôpitaux et de lits d’hôpitaux, ou que l’Etat grec se trouvant, il y a quelques jours, dans l’incapacité de fournir des livres scolaires à ses écoliers, les invite à en faire des photocopies (!), etc. etc. En somme, que la faim, oui la faim, commence à faire son apparition dans les grandes villes tandis que les suicides se multiplient dans un pays plongé dans le stress et le désespoir…
Cependant, les Grecs ne sont pas seulement désespérés. Ils sont aussi combattifs, ils résistent, ils luttent. Surtout, après l’apparition fin mai 2011 du mouvement des Aganaktismeni, des Indignés Grecs, qui a rempli les places des centaines de villes grecques avec d’énormes foules radicalisées ayant deux mots d’ordre principaux : « On ne doit rien, on ne vend rien, on paye rien ». Et « qu’ils s’en aillent tous »...
Mais attention : résister en Grèce a l’époque de l’austérité barbare des Memoranda n’est pas chose facile. D’abord, à cause de la répression qui est terrible, méthodique, inhumaine. Ensuite, en raison de l’importance de l’enjeu : la Grèce constitue actuellement un cas test mondial, un véritable laboratoire planétaire dans lequel sont testées les capacités de résistance des peuples aux plans d’ajustement structurels aux temps de la grande crise des dettes publiques. En somme, tous les regards, tant de ceux d’en haut comme de ceux d’en bas, sont tournés jour après jour vers ce petit pays européen qui a la malchance d’être devenu le cobaye mondial du néolibéralisme le plus cynique. La conséquence en est que pour faire aboutir la moindre revendication, il faut pratiquement renverser le pouvoir et faire, ni plus ni moins, la révolution !
La leçon que nous tirons de cette situation totalement inédite est que, aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, il n’y a pas de salut a l’intérieur des frontières nationales. Que face à la Sainte Alliance des gouvernants et de ceux d’en haut, la coordination et la mise en réseau des résistances de ceux d’en bas constitue la condition sine qua non de tout espoir de succès ! En mots plus simples, pour que le test grec ne tourne pas a l’avantage de nos bourreaux de la tristement célèbre Troïka, c’est-à-dire le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission Européenne, il faut au plus vite qu’on unisse nos forces, qu’on forme la Sainte Alliance de ceux d’en bas !

NON !
Ce n’est pas donc un hasard que la première conférence internationale contre la dette et les mesures d’austérité ait été organisée à Athènes au début de mai 2011, par l’Initiative grecque pour une commission internationale d’audit de la dette publique, un mouvement, dont je suis membre fondateur. Le grand succès de cette première Conférence internationale nous avait agréablement surpris mais, en réalité, il était doublement prémonitoire : d’abord, parce que deux semaines plus tard, le mouvement des Indignés grecs faisait son irruption sur la scène sociale et politique du pays en occupant la place Syntagma d’Athènes. Ensuite, parce qu’il devenait de plus en plus clair non seulement que la question de dette publique se trouve a la racine des tous les grands problèmes de notre temps, mais que la mobilisation indépendante autour de la demande d’audit de cette dette publique était plus que possible, car elle répondait a une vraie demande populaire !
Je crois que la leçon qu’on peut tirer de l’expérience de l’Initiative grecque pour une Commission d’audit de la dette publique n’est plus valable seulement pour la Grèce. Elle l’est aussi pour tous les autres pays attaqués par les marchés financiers, la Troïka et le capital : l’audit des dettes publiques peut, à première vue, paraitre une activité ingrate, peu attirante et réservée aux spécialistes, mais en réalité elle est capable d’inspirer et même de mobiliser des grandes foules à deux conditions : D’abord, qu’elle soit totalement indépendante des institutions et appuyée par les citoyens mobilisés dans leurs quartiers, leurs lieux de travail et d’étude. Et ensuite, qu’elle vise clairement à identifier la part illégitime de la dette afin de l’annuler et ne pas la payer !
Cinq mois après cette première conférence internationale d’Athènes contre la dette et les mesures d’austérité, on peut mesurer le chemin parcouru : l’Initiative grecque est en train de faire des émules presque partout en Europe, au sud et au nord, a l’ouest comme a l’est. La tâche qu’impose à nous tous une telle situation est manifeste : ces mouvements et ces campagnes autour de l’audit de la dette publique doivent au plus vite se rencontrer et se mettre en réseaux. Et tout cas afin de rendre leur action plus efficace et répondre aux expectatives des populations, avant qu’il ne soit pas trop tard pour tout le monde…
C’est exactement à cette tâche que s’adonne le CADTM, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, dont je suis aussi membre, et qui combine son expertise –fruit de 20 ans de luttes aux côtés des pauvres du Sud de la Planète- avec sa présence sur le terrain de luttes dans plusieurs pays européens. L’apport théorique et pratique du CADTM dans le développement du mouvement contre la dette et l’austérité en Grèce mais aussi dans d’autres pays, a été et reste très important. Mais je crains que pour pouvoir répondre aux nouveaux défis qui nous sont lancés par une situation de véritable guerre a mort entre riches et pauvres, il faudra beaucoup plus que le CADTM, que tous les réseaux internationaux qui se battent avec courage contre la dette et l’austérité. Il faudra beaucoup plus de forces militantes, beaucoup plus d’élaboration programmatique et surtout beaucoup plus de coordination par-delà les frontières nationales.
Je voudrais maintenant terminer avec quelque chose qui me tient à cœur : l’organisation autonome, ou plutôt l’auto-organisation et la lutte des femmes contre la dette et l’austérité. Si les femmes sont les premières victimes de l’agression néolibérale en cours contre les salariés et toute la société, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont licenciées en masse et les premières. C’est surtout parce que ce qui constitue un pilier de cette agression, c’est-à-dire la destruction et la privatisation des services publics, a comme conséquence directe que les femmes sont obligées d’assumer en famille les tâches d’utilité publique assumées jusqu’à hier par l’Etat. En somme, les femmes sont désormais appelées a assurer chez elles, en privé, les services offerts jadis par les jardins d’enfants, les hôpitaux, les hospices pour vieillards, les caisses de chômage, les asiles psychiatriques, et même par la sécurité sociale. Et tout ca absolument gratis ! Et en plus, tout ca enveloppé dans l’emballage idéologique d’un retour forcé a la maison et a la famille imposé par une prétendue « nature » de la femme acceptée seulement comme… l’esclave obéissante des autres ! En somme par un retour au patriarcat le plus abject, qui est d’ailleurs combiné avec une attaque frontale contre les quelques droits qui nous restent, à nous femmes…
Ma conclusion sera catégorique : voilà pourquoi les femmes doivent s’organiser de façon autonome pour lutter contre la dette et l’austérité. Si elles ne le font pas, il n’y aura personne d’autre qui le fera à leur place…
Je vous remercie. 

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