vendredi 10 août 2012

Peut-on vraiment comparer les conflits syrien et libyen ?

par François Burgat, Atlantico, 10/8/2012
Nicolas Sarkozy s'est entretenu mardi par téléphone avec le chef de l'opposition syrienne Abdel Basset Sayda*. Tous deux ont convenu dans un communiqué commun "qu'il y a de grandes similitudes avec la crise libyenne".
Il est instructif de comparer les crises libyenne et syrienne. Il serait dangereux de les assimiler. Si le socle du mécontentement populaire devant un autoritarisme au long cours est commun, si la lente militarisation de l’opposition et la violence de la répression d’un Etat faisant usage de l’aviation et des armes lourdes ont suivi un cours identique, les forces en présence, à l’intérieur et plus encore sur la scène internationale, sont profondément différentes.

Ces différences devraient interdire en tout état de cause à ceux qui seraient tentés de le faire de prôner aujourd’hui pour la crise syrienne une porte de sortie « à la libyenne ».

Demi-spécificité syrienne, le régime baasiste est tout d’abord ancré à un socle ethnique et religieux certes comparable  à l’assise clanique et tribale du pouvoir de Kadhafi, mais manifestement plus large. La vraie spécificité syrienne est en effet la capacité dont jouit Bachar el Assad, et dont il a largement fait usage, de diviser ses opposants en manipulant les appartenances ethniques et confessionnelles.
En gagnant le soutien des Alaouites, cette minorité chiite hétérodoxe mais également d’une majorité des communautés chrétienne et druze, il a réussi à ralentir la montée en cohésion de ses opposants. Outre ce “potentiel” de divisions, Bachar el Assad, relativement jeune, et qui n’est au pouvoir “que” depuis une dizaine d’années, était moins « usé » que ne l’était Kadhafi.

Mais l’essentiel n’est sans doute plus là : la différence majeure entre la crise libyenne et la crise syrienne vient des conditions de son internationalisation et de l’ampleur des soutiens étrangers dont (contrairement à la Libye, qui ne pouvait plus compter que sur de peu influents voisins africains,) Damas continue à bénéficier. Secondaire dans les cas tunisien et égyptien, le soutien de la communauté internationale toute entière à l’opposition libyenne (du Conseil de sécurité à la Ligue arabe en passant par l’OTAN) a été décisif. A l’inverse, le régime syrien reste protégé par un véritable rempart international qui interdit à ceux qui pourraient y être favorables – ce qui est un débat en tant que tel - d’envisager une identique solution militaire.
Ces soutiens à Damas prennent paradoxalement appui sur des motivations très diverses, dont certaines ne sont que « réactives ». Peu ont en réalité à voir avec les vertus du régime, et notamment la « laïcité » proclamée du parti Baas, très relative quand on sait qu’il a construit en fait son pouvoir sur la promotion privilégiée des seuls Alaouites. Pour la Russie et pour la Chine, les motivations vont de la peur de voir d’identiques rébellions recevoir chez eux un quelconque soutien international jusqu’à une vieille et banale volonté d’affirmation à l’encontre des Etats-Unis. Le Brésil semble prosaïquement suivre les orientations de son importante communauté syrienne, majoritairement chrétienne.
Dans l’environnement régional, hormis la Turquie, on est très loin d’avoir, comme ce fut le cas de l’Egypte et de la Tunisie, un consensus en faveur de l’opposition et d’une intervention étrangère destinée à la soutenir : ni le Hezbollah au pouvoir au Liban, allié indéfectible de la Syrie qui le soutient dans sa longue confrontation avec l’Etat hébreu, ni l’Iran qui s’oppose « logiquement » à ses ennemis traditionnels que sont les Etats-Unis et leurs alliés dans le Golfe, ni même l’Irak majoritairement chiite ne resteraient insensibles à une incursion étrangère.

Dès lors, l’appui accordé à l’opposition par la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite, l’Europe et les Etats-Unis est loin d’avoir le poids de celui qui a rendu politiquement possible l’intervention de l’OTAN.

C’est donc bien cette différence du rapport de force international qui devrait interdire (à ceux qui sont tentés de la considérer) de se lancer dans l’aventure d’une très hasardeuse intervention militaire.


* Ce chercheur kurde d'origine de 55 ans a pris en juin dernier la tête du Conseil national syrien, suite à la démission de Bourhane Ghalioun. Il vit à Uppsala, en Suède depuis 1994 et n'a pas beaucoup d'expérience politique. Il est présenté comme un démocrate et un "modéré"(NDLR Basta)
De gauche à droite: Sayda, Ghalioun et Mohamed Farouk Tayfur

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