mardi 25 décembre 2012

Faute d'un consensus sur un réel processus de transition démocratique, l'Égypte risque de connaître des heures sombres durant l'année à venir

Place Tahrir
par Rabha Attafworkshop19, 25 décembre 2012
L'Égypte vit en effet actuellement la plus grave crise politique depuis la destitution de Moubarak. Par sa déclaration constitutionnelle du 22 novembre dernier lui accordant des pouvoirs élargis, le président Mohamed Morsi a réussi à faire contre lui l'union sacrée de l'opposition, jusque-là dispersée. Les partis libéraux et la gauche ont en effet formé un Front de Salut National mené par Mohamed Al Baradei et Amr Moussa qui, ne l'oublions pas, était le ministre des Affaires Étrangères de Moubarak de 1991 à 2001.
Référendum
Devant les dizaines de milliers de manifestants contestant sa décision, Mohamed Morsi semblait avoir cédé en annulant son décret. Mais c'était en fait pour mieux rebondir en soumettant, par référendum, une nouvelle constitution au vote des Égyptiens. Il escomptait sans doute couper l'herbe sous les pieds à ses opposants ! Comme on pouvait s'y attendre, l'opposition conteste cette nouvelle Constitution adoptée dans l'urgence par une assemblée constituante majoritairement islamiste car amputée des libéraux et de la gauche. Ces derniers l'avaient quittée à grand fracas, pratiquant ainsi la politique de la chaise vide. Sauf que la nature a horreur du vide et qu'on ne peut pas hurler au loup après l'avoir laissé seul dans la bergerie !
 
Le résultat du référendum vient d'être confirmé par la commission électorale : 63,8% de oui, avec un taux de participation de 32,9% des 52 millions d'électeurs inscrits. Même si l'opposition hurle à la fraude - et c'est son rôle d'opposition !- l'Égypte de l'après-Moubarak demeure un pays où le clientélisme est roi. Les Frères Musulmans ont su s'implanter, durant ces trente dernières années, dans toutes les strates de la société égyptienne. Ils ont ainsi consolidé leur assise électorale. Il faut aussi garder à l'esprit le fait qu'en dehors du Caire et des bastions industriels où les syndicats sont encore puissants - et donc la gauche encore présente - le reste de l'Égypte est rural... et donc conservateur ! Aux yeux de la majorité des Égyptiens, les islamistes représentent l'ordre -alors que l'opposition figure le désordre, surtout au regard des manifestations de ce début décembre qui ont dégénéré dans la violence.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'économie égyptienne est paralysée depuis janvier 2011, et que le FMI a conditionné l'octroi d'un prêt de 4,8 milliards de dollars à un retour à la stabilité politique. Concrètement cela signifie l'adoption d'une Constitution et d'un calendrier électoral pour des législatives, car l'Égypte n'a plus d'Assemblée populaire depuis la dissolution de cette dernière en juin dernier. Cette mise en garde du FMI - et sans doute du Conseil Suprême des Forces Armées qui garde la haute main sur la vie politique égyptienne - est certainement la principale raison du coup de force auquel nous avons assisté depuis fin novembre.

Dans ce contexte, l'annonce de la démission du vice-président Mahmoud Mekki ce 22 décembre, jour du vote de la Constitution, n'est pas surprenante. Il prévoyait déjà de démissionner depuis début novembre. Et la fronde menée par les juges contre la déclaration constitutionnelle de Mohamed Morsi - dans laquelle le président égyptien s'arrogeait notamment les pouvoirs judiciaires - l'a mis dans une posture de conflit d'intérêt. "J'ai réalisé depuis un moment que la nature du travail politique ne convient pas à ma formation professionnelle de juge", expliqua-t-il. Avant d'être nommé vice-président en août, Mahmoud Mekki était, en effet, un magistrat respecté qui a joué un rôle crucial en 2005, transformant la grogne des juges contre l'ingérence de l'exécutif dans les affaires de la justice en mouvement contre le régime de Hosni Moubarak. Précisons aussi que la nouvelle Constitution ne prévoit pas la fonction de vice-présidence.


Quoi qu'il en soit, l'adoption de la nouvelle Constitution ne mettra pas fin à la grave crise de gouvernance que connaît l'Égypte depuis plus d'un an. Certes, l'opposition a été prise de court mais n'a pas pour autant baissé les armes. Avant même l'annonce du résultat définitif du référendum prévu ce mardi, le Front de Salut National (FSN) a déjà déposé une série de recours auprès de la Commission judiciaire des élections. Mais, prévoyant que cette démarche n'invalidera certainement pas le résultat du référendum, cette opposition hétéroclite, constituée à la fois de libéraux, de socialistes, d'islamistes dissidents - dont Abdel-Moneim Abou El-Fotouh, qui s'était présenté à l'élection présidentielle après avoir claqué la porte de la Confrérie des Frères Musulmans- et de coptes, a fait savoir qu'elle continuerait à remettre en cause la Constitution en poursuivant les manifestations, ainsi que par tous les moyens démocratiques possibles.

Ce référendum "n'est pas la fin du chemin", mais "n'est qu'une bataille" dans le combat contre le pouvoir du président Morsi, a affirmé le FSN dans un communiqué, avant même l'annonce du résultat. Son chef de file, Mohamed El Baradei, déclarait notamment, dans un entretien lundi avec la chaine américaine PBS : "Le texte va passer. À mon avis, ce sera vraiment un triste jour pour l'Égypte parce que ce vote va institutionnaliser l'instabilité". Selon lui, la nouvelle Constitution devra être considérée comme un texte "intérimaire" jusqu'à la rédaction d'un nouveau projet sur la base d'un consensus.

La bataille du référendum vient donc de se terminer, mais la guerre sur la légitimité de la Constitution ne fait que commencer. D'autant que pour neutraliser la Haute cour constitutionnelle dans l'avenir, les membres de l'Assemblée constituante - dont la tâche se terminera avec la promulgation de la nouvelle Constitution - ont voté un article intérimaire qui servira de loi pour les prochaines législatives prévu dans deux mois. Un tiers de scrutin uninominal et deux tiers de proportionnelle avec listes ouvertes pour permettre aux indépendants de former des listes. Ce qui risque aussi de fragiliser l'opposition dont l'alliance de circonstance contre Mohamed Morsi ne résistera certainement pas à la multiplication des candidatures à la députation.

La vie politique égyptienne s'annonce donc houleuse dans les semaines à venir. Et ses différents acteurs s'étant enfermés dans une logique des camps, il faut s'attendre à une sortie du Conseil Suprême des Forces Armées pour rétablir l'ordre. Son dernier communiqué, suite aux dernières manifestations, était d'ailleurs ponctué par un « Nous ne laisserons pas faire ! ». En clair, une mise en garde destinée à remettre les pendules à l'heure. D'autant que la nouvelle Constitution maintient les prérogatives de l'armée, lui permettant même de juger les civils qui lui porteraient atteinte.

Est-on pour autant dans une impasse ? Pas si l'armée se cantonne à un rôle d'arbitrage et laisse le jeu politique se dérouler comme il se doit. La démocratisation est un long processus, surtout pour un pays qui sort à peine de soixante années de régime dictatorial. Les Égyptiens en font actuellement l'apprentissage, avec ses hauts et ses bas. Souhaitons qu'ils réussissent à dépasser leurs antagonismes pour éviter le pire, c'est à dire un pourrissement de la situation politique qui justifierait une restauration militaire directe ou maquillée !
 
 
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