mercredi 26 décembre 2012

La Grèce et l'Allemagne : un compte qui n’est toujours pas réglé

par  Norman Paech , 23/12/2012. Traduit par Michèle Mialane, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Griechenland – eine offene Rechnung
La Grèce est le berceau de la culture européenne, un archipel colonisé par les vacanciers allemands, l’ultime aboutissement de la crise financière et le protectorat de l’Union européenne - mais pour comprendre la fureur de ses habitants, il faut ajouter à tout cela un compte que le gouvernement allemand s’obstine à refuser de régler.
Lorsqu’en 1997 le tribunal de Livadiá a accordé aux survivants du massacre de Distomo (juin 1944) des dédommagements s’élevant à 37,5 millions d’euros, le gouvernement allemand avait ignoré le déroulement du procès auquel il n’avait pas assisté. Mais ensuite il s’est ravisé et a fait appel auprès de l’Aréopage d’Athènes. Il avait de toute évidence sous-estimé la gravité de la situation, car à travers le pays des milliers de personnes avaient porté plainte à la suite de cette sentence. Le 4 mai 2000, l’Aréopage, la Cour suprême de Grèce, avait fini par confirmer le jugement en faveur des plaignants de Distomo et rejeter l’appel déposé par le gouvernement allemand.
Distomo après le massacre

L’histoire est cruelle et révoltante. Voilà le résumé qu’en a fait le tribunal régional de Bonn le 23 juin 1997 : «Dans la matinée du 10 juin 1944 les troupes venant de Livadiá se sont arrêtées plusieurs heures à Distomo où elles ont interrogé le maire et le pope au sujet de partisans qui y auraient séjourné et/ou y seraient passés. La veille, environ 30 partisans venant de Disfina et se rendant à Steiri avaient traversé le village. C’est pourquoi une colonne motorisée s’était mise en marche vers Disfina. Celle-ci avait été attaquée peu avant Stiri et avait battu en retraite, car elle avait subi des pertes. Revenue à Distomo, elle avait d’abord fait douze prisonniers puis massacré la totalité de la population restée au village, sans distinction d’âge ni de sexe, perquisitionné systématiquement toutes les maisons qui avaient ensuite été brûlées. Au total 300 personnes ont été assassinées. »
"Les massacres de Distomo", xylographie d'Alexandros Korogiannakis
Mais la vérité tout entière englobe aussi les constats de l’Aréopage relatifs à ce massacre : « Après avoir assassiné les douze otages, les officiers, sous-officiers et soldats ont formé des groupes, pénétré dans les maisons et s’en sont pris sauvagement aux malheureux habitants de Distomo, les ont massacrés, assassinés, ont violé les femmes et les jeunes filles et éventré les femmes enceintes. Des vieillards, des jeunes, des femmes, des fillettes et garçonnets et même des bébés ont été les victimes de leur folie meurtrière.... »


Maria Pantiska, une survivante du massacre de Distomo. Elle avait alors 19 ans. Elle est morte en 2009 à 84 ans

 Distomo n’est pas la seule localité où les SS et la Wehrmacht ont commis de semblables crimes, mais ce nom est symbolique pour les innombrables massacres perpétrés à l’encontre de la population grecque. De Nikos Kazantzakis, on connaît « Zorba le Grec », mais qui connaît aussi le rapport qu’il a remis en 1946 au gouvernement grec sur la résistance grecque et les horreurs de l’occupation allemande ? Plus de 1000 localités grecques ont été pillées et brûlées, un million de personnes ont perdu leur toit et 300 000 sont mortes de faim sous l’occupation. Les exécutions d’otages et « représailles » ont coûté la vie à plus de 20 000 civils et plus de 60 000 Juifs ont été déportés vers les camps d’extermination. Jusqu’en mars 2000, où le Président Rau est passé aussi à Kalavryta à l’occasion de son voyage en Grèce, la majorité des Allemands ignorait qu’en décembre 1943 bien plus de 700 personnes y avaient été massacrées. C’était la première fois qu’un homme d’État allemand reconnaissait officiellement les horreurs commises par les troupes d’occupation nazies. Et jusque-là le grand public avait aussi ignoré qu’il reste une addition à régler.
Car les survivants n’ont jamais été dédommagés. À la Conférence de Paris (1946) les puissances victorieuses ont estimé les réparations dues à la Grèce à 7,5 milliards de dollars US. Au total la somme due s’élève à l’heure actuelle, en y incluant les intérêts qui ont couru depuis, à 30 milliards d’euros environ. Les 115 millions de marks versés en 1960 par le gouvernement de la RFA au gouvernement grec concernaient expressément ceux que les nazis avaient persécutés en raison de leur race, de leur religion ou de leurs opinions politiques et laissaient tous les autres de côté. À ce jour, tous les gouvernements fédéraux se sont refusés à discuter de ces exigences avec les gouvernements grecs.
Ceux-ci ne sont pas tout à fait innocents de l’attitude brutale des Allemands. Préoccupés d’abord d’autres choses- l’anticommunisme à la suite de la guerre civile -, ils n’ont pas osé ensuite poser des exigences à un partenaire en position de force en Europe, car on avait besoin de son soutien. Un seul criminel a été condamné, le général Andrae, l’un des commandants en poste en Crète pendant la guerre, mais il a été libéré dès 1951. En 1958 Athènes a mis un terme aux poursuites contre les criminels de guerre allemand- alors qu’elles n’avaient pas encore vraiment commencé. Les dossiers ont été remis aux autorités allemandes, qui n’en ont rien fait non plus. En 1965 le Chancelier Ludwig Erhard a assuré au Ministre de la Coordination grec, Andreas Papandreou qu’après la réunification, on rembourserait l’emprunt d’un montant de 500 millions de Reichsmark imposé aux Grecs en 1942 par les occupants. La somme due atteint aujourd’hui quelques milliards d’euros.
Lorsque, sous la pression d’un véritable déluge de procès intentés par les victimes grecques, le gouvernement grec a fini par demander au gouvernement allemand l’ouverture d’un dialogue au sujet des remboursements et dommages de guerre, celui-ci a refusé catégoriquement. Il pensait trouver de bonnes raisons juridiques pour étayer ses mauvais arguments.
L’entêtement a payé- mais pas pour les victimes grecques. Tous les tribunaux allemands jusqu’à la Cour constitutionnelle ont dénié toute responsabilité à la République fédérale. Mais ce ne sont pas non seulement les tribunaux nationaux qui ont rejeté les plaintes. La Cour européenne des droits de l’homme en a fait autant. Toutes les tentatives de prendre en gage des avoirs allemands en Grèce et en Allemagne pour suivre la sentence de l’Aréopage ont échoué. Pour finir, la Cour internationale de Justice de La Haye a retiré aux tribunaux italiens tout moyen de déclarer applicable la sentence de l’Aréopage en utilisant les avoirs allemands en Italie. Une telle décision reviendrait à violer l’immunité de la République fédérale allemande. Que cela permette de ne payer aucune réparation pour les pires crimes de guerre alourdit les diktats cyniques des « austéritaires » d’une charge supplémentaire que les Grecs n’oublieront pas.

Mémorial de Distomo



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