mercredi 11 septembre 2013

En attendant la 6ème armée-Souvenir d'un septembre lointain

par Fausto Giudice
Español: Esperando al Sexto Ejército-Recuerdo de un septiembre lejano
Ça devait être le jeudi 13 septembre ou peut-être le vendredi 14 septembre 1973. La salle de la Mutualité à Paris était pleine à craquer. Notre camarade brésilienne Cléo Vernier déclencha un tonnerre d'applaudissements enthousiastes lorsqu'elle lut à la tribune une "info" qui devait malheureusement s'avérer fausse. Je me souviens comme si c'était hier de la phrase :"Le général Carlos Prats marche sur Santiago à la tête de la 6ème armée". Pour nous tous qui étions dans la salle, qui n'avions jamais entendu parler de cette  "6ème armée" (où étaient donc les cinq autres ?), cela avait un parfum de Longue marche, évoquant la 8ème armée des communistes chinois.
Le samedi suivant le meeting il y eut une grande manifestation dans les rues de Paris. Deux slogans s'y opposaient: "El pueblo unido jamás será vencido" contre "El pueblo armado jamás será vencido". Le premier était en quelque sorte le slogan officiel de l'Unidad popular, cette Alliance de communistes, socialistes, chrétiens de gauche et radicaux qui avait porté Salvador Allende à la présidence 3 ans plus tôt et n'avait pas su l'y maintenir. Le second était le slogan de la gauche révolutionnaire, qui, pour nous, était constituée par le MIR de Miguel Enriquez. Le débat qui agitait la gauche et l'extrême-gauche française –et européenne – en ces journées tragiques de septembre 1973, était : peut-on faire la révolution socialiste par la voie pacifique, électorale, sans armer les travailleurs et le peuple ? De toute évidence, le putsch de Pinochet le démontrait, la réponse était : "non".

Ce débat n'avait rien de nouveau : il avait été lancé par Palmiro Togliatti, le dirigeant communiste (stalinien) italien dès 1948, qui avait proclamé la "voie italienne" au socialisme, autrement dit électorale et parlementaire. 65 ans plus tard, on peut dire que les communistes italiens sont enfin arrivés "pacifiquement" au pouvoir, sauf bien sûr qu'ils ne sont plus communistes. La voie "chilienne" au socialisme nous paraissait, à nous autres gauchistes de tendance maoïste ou guévariste, une resucée de la voie "italienne". La grande erreur de la gauche au pouvoir à Santiago avait été, à nos yeux, de ne pas avoir armé les cordons industriels, ces embryons de soviets ouvriers, et les pobladores, les squatteurs de la ceinture de misère de la capitale. Nous étions stupéfaits par l'aveuglement d'Allende, qui avait lui-même nommé Pinochet à la tête de l'armée.
Le temps passant, nous avons eu l'occasion de connaître de près cette gauche et cette extrême-gauche chilienne qui, pour la plupart d'entre nous, était jusque-là parfaitement exotique, lorsque les exilés ont commencé à arriver en Europe. Personnellement, ce fut un choc. Je mis ma déception sur le compte du traumatisme qu'ils avaient vécu, me disant qu'ils avaient besoin de thérapie après le choc subi, qu'ils n'étaient peut-être pas si idiots qu'ils en avaient l'air. Il me faudra encore des années pour découvrir un autre Chili, mais ceci est une autre histoire.

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