vendredi 16 mai 2014

À droite toute ! L'Inde prend un virage


Le grand vainqueur, avec des résultats au-delà des attentes, des élections générales indiennes, qui ont duré 35 jours, est le parti religieux hindou de droite  BJP ( Bharatiya Janata Party ou Parti du peuple indien). Le Premier ministre sera Narendra Modi, un mégalomane et un ami proche des grands patrons, qui n'a pas de temps à perdre avec la démocratie libérale. On estime que les foules hindoues et la police ont tué 2.000 musulmans en 2002  dans le Gujarat, l'État dont il était ministre en chef, mais il n'a jamais eu de comptes à rendre pour ces pogroms. Le parti du Congrès, après une décennie au pouvoir au cours de laquelle il a alimenté une économie néo- libérale, a subi une écrasante défaite à cause de la colère populaire contre l'inflation, la corruption et la politique dynastique. La gauche parlementaire traditionnelle a faibli et est devenue quantité négligeable à l'échelle nationale. On attendait beaucoup de l'AAP ( Aam Admi Party, Parti de l'homme commun) , créé il y a à peine deux ans, mais il a eu des résultats médiocres. Le Congrès n'est même pas arrivé à conquérir 10 % des sièges. Les partis régionaux ont fait de bons scores dans certains États, mais, avec une majorité BJP au parlement, ils pèseront peu dans les processus décisionnels nationaux.
"Votre Inde, votre vote : faites-le compter"

En chiffres, les élections indiennes battent les records mondiaux : il y avait 814 millions d' électeurs, dont 168 millions étaient des primo-votants de plus de 18 ans, 919 000 bureaux de vote et 3,6 millions de machines de vote électronique. Chaque bureau avait à gérer un maximum de 1500 électeurs et personne n'avait plus de deux kilomètres à parcourir pour les atteindre, le plus haut était à une altitude de 5000 mètres dans l'Himalaya et le plus isolé dans une réserve forestière du Gujarat (le seul endroit avec une population de lions sauvages en dehors de l'Afrique), où cinq fonctionnaires avaient monté un camp pour un seul électeur. Cinq millions de civils et cinq millions de personnels de sécurité ont géré les élections. Le taux de participation cette fois-ci a été de 66,4 %, le plus élevé de l' histoire du pays, mais encore nettement inférieur à celui d'autres pays du tiers monde comme le Kenya ou la Malaisie, qui ont connu plus de 80% de participation aux élections de l'année dernière. Moins de femmes que d'hommes ont voté et seulement 11 % des candidats étaient des femmes. Leur présence au Parlement sera beaucoup plus faible. Chaque membre du Parlement indien élu par vote direct représente en moyenne 1,5 million d'électeurs , soit plus que la population de pays comme l'Estonie , l'Islande, le Bahreïn ou la Barbade. Les candidats élus sont surtout des hommes, plus jeunes et plus riches que dans les parlements du passé, et beaucoup d'entre eux font face à des accusations criminelles graves. Statistiquement, les candidats honnêtes en Inde ont la plus faible probabilité de gagner et donc ils n'ont pas eu de bons scores cette fois-ci non plus.
 

Modi efface l'ombre des pogroms de 2002
Ce fut également l'élection la plus chère de l'histoire du pays et le BJP semble avoir eu le plus d'argent. Selon une estimation, Modi a dépensé plus en publicité que ce qu'Obama a dépensé dans toutes les élections auxquelles il s'est présenté. L'argent provenait des grandes entreprises, les secteurs de l'immobilier et des mines, d'intermédiaires agricoles et de propriétaires d'établissements d'enseignement privés, qui ont tous des rentrées de fonds élevées. Alors qu'il y avait cinq astrologues, deux mendiants, deux conteurs et un consultant en construction des pyramides parmi les candidats, 16% étaient des patrons de grandes entreprises. Modi était le candidat de choix du big business. Un câble de l'ambassade US de 2009 publié par Wikileaks a raconté comment "cinq des plus puissants chefs d'entreprise de l'Inde ... ont manifesté un appui sans équivoque et sans réserve à Narendra Modi" lors d'une conférence sur l'investissement international, louant son "leadership habile" et appelant à reproduire partout le modèle de développement économique de Modi dans son État. Un an plus tard, un enregistrement fuité exposait comment les grandes entreprises, les propriétaires de médias, les décideurs et les politiciens travaillaient ensemble pour piller les ressources nationales. La Cour suprême a demandé des contrôles plus stricts. C'est alors que les grandes entreprises se sont décidées pour Modi. En 2011, lors d'une autre réunion d'affaires dans le Gujarat, l'homme le plus riche de l'Inde, le milliardaire en dollars Mukesh Ambani, qui a une maison de 27 étages dans le centre financier de l'Inde, Mumbai, a déclaré: « Le Gujarat brille comme une lampe d'or ... Nous avons ici un leader avec la vision et la détermination à traduire cette vision en réalité". Les grands patrons indiens ont soutenu Modi, car ils savaient qu'il ferait sauter la plupart des restrictions légales en matière d'environnement et de travail.
 

A gauche : Le dernier mariage arrangé en Inde : "Le BJP et les oligarques indiens vous invitent aux noces de leurs enfants, le majoritarisme [dictature de la majorité sur les minorités] et le capitalisme de copinage"- A droite : un partisan du BJP avec un T-shirt du Che...
L'argent qui a coulé à flots des grandes entreprises dans sa campagne a été mis à profit pour fabriquer le mythe Modi, celui d'un homme qui apporterait un développement rapide à l'Inde comme il l'avait fait dans son État du Gujarat. Les médias indiens ont activement promu la "marque Modi". En réalité, le Gujarat ne figure pas en tête de l'indice de développement social, même s' il a toujours été un État prospère selon les normes indiennes. Mais il fournit des indices importants sur ce à quoi  l'Inde va ressembler sous Modi. Un État vindicatif y a fait taire toute opposition ; les médias locaux ont été cooptés ; les entreprises ont fait d'énormes profits grâce à des transferts de terres forcés et à bas prix et la corruption est un mode de vie. Le cours de l'action du groupe Adani, une entreprise industrielle qui a ouvertement soutenu Modi, a grimpé de 45 % pendant les élections. Modi a voyagé dans le jet et les hélicoptères de l'entreprise Adani. La société attend d'obtenir l'autorisation environnementale pour un port important dans le Gujarat. Dans la politique indienne, notent les analystes, l'argent n'est pas un prix à payer pour être admis : c'est un acompte d'investissement. Le big business en Inde est certain que Modi va libéraliser le secteur du commerce de détail et de l'assurance : il est leur homme pour prendre des "décisions difficiles" .

Des centaines de milliers de bénévoles de la RSS (Force nationale de volontaires), une force paramilitaire hindoue ouvertement calquée sur le fascisme, a fait campagne pour lui. L'Inde des patrons a maintenant non seulement un homme à elle comme Premier ministre ; elle dispose également d'une milice pour contrôler les protestations sociales. La classe moyenne hindoue espère que Modi va subjuguer les musulmans à l'échelle nationale comme il l'a fait dans le Gujarat . Il est très probable que Modi va exploiter les divisions de caste et religieuses de l'Inde et rechercher une confrontation avec le Pakistan pour se projeter comme Il Duce de l'Inde. Son plan A est la croissance économique, mais son Plan B est un État hindou. Le chemin vers le capitalisme de copinage sera facilité avec le sang des minorités. Au vu des résultats des élections, Modi va de toute évidence jeter une ombre sur l'Inde pendant de longues années.
Sur le même sujet, lire  Narendra Modi, une énigme indienne - Frédéric Bobin

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