mardi 28 avril 2015

Grèce : L’étau se resserre

par Stathis Kouvelakis Στάθης Κουβελάκης, 24/4/2015 Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Original: Greece: The Noose Tightens
Traductions disponibles : Português  فارسی 
 

Pour le gouvernement Syriza, il ne reste que trois options
Les événements en Grèce ont pris un tour dramatique et l'insolvabilité est aux portes. Le 20 avril 2015, le gouvernement grec a émis un décret obligeant les collectivités locales à déposer leurs réserves de liquidités à la Banque De Grèce.
Deux jours plus tard, Dimitris Mardas, le vice-ministre des Finances chargé des recettes de l’État, a déclaré qu’il manquait 400 millions d’euros pour payer les retraites et les salaires à la fin du mois. Quelques heures plus tard, il a dit que l'argent avait été trouvé et qu'il essayait maintenant de constituer des réserves de trésorerie. Mais selon certaines sources, Dimitris Mardas a informé les députés de Syriza lors d'une réunion le même jour que les réserves de l’État ne permettraient d'effectuer tous les paiements en mai.
Et cela bien que, en termes de paiement de la dette, le mois de mai soit un mois relativement « facile », avec seulement 750 millions d’euros à payer  au Fonds Monétaire International (FMI), plus 400 autres millions d’euros d'intérêts à payer.
Le mois de juin sera plus difficile, avec 1 milliard 500 millions d’euros du au FMI, 700 millions dus aux institutions européennes, et 500 millions d’euros en paiements d'intérêts. Un  fardeau sans aucun doute insoutenable.


Le chantage s’intensifie

La Banque Centrale Européenne (BCE) a élevé légèrement le plafond de sa Fourniture de liquidité d'urgence (ELA), mais a évoqué la possibilité de réduire le financement des banques grecques au-delà. Dans une interview à Washington le 18 avril, un des gouverneurs de la BCE, Vitas Vasiliauskas [vice-ministre des Finances lituanien, NdT] a dit que « la situation en Grèce signifie que nous devrions avoir une limite jusqu'à l'été pour l'ELA. Tout le monde comprend ce que signifie l'ELA, c’est une mesure temporaire pour donner des liquidités aux banques ».
Mais des échantillon plus représentatifs des points de vue des deux principales institutions européennes qui détiennent ensemble environ les deux tiers de la dette grecque, la BCE et le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), se trouvent dans les interviews données le 22 avril par Klaus Regling, directeur général du MES, et Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE.

Les deux expriment une ligne particulièrement dure sur la Grèce, rejetant deux demandes clés du gouvernement grec dans la phase actuelle des négociations. C’est tout d'abord le refus du décaissement du 1,9 milliard d’euros auquel la Grèce a droit avant la « fin de l'examen », ce qui signifie le respect du type de « réformes » auxquelles s'oppose la partie grecque (cette somme correspond aux bénéfices réalisés sur les obligations de la dette grecque et devrait être remboursée à la Grèce, selon les conditions du programme SMP (Programme d'achat d'obligations d'État) de la BCE, depuis le mois de février). C’est ensuite le refus de « l’approche proposée » des réformes, tel que proposée par le ministre des Finances grec Yanis Varoufakis pour permettre à la Grèce d'obtenir des liquidités avant le mois de juin et faciliter un accord.

Au lieu de cela, c'est une « liste complète des réformes » qui est exigée : elle devrait inclure une plus grande déréglementation du marché du travail et des coupes dans les retraites, deux « lignes rouges » que les Grecs ne veulent pas franchir

Klaus Regling est allé beaucoup plus loin que Coeuré, commentant la possibilité d'un « Grexit » - que la Grèce quitte la zone euro -, il a dit tranquillement que ce « n’est pas le scénario de référence. Mais si cela devait arriver, et nous travaillons très, très dur pour l'éviter, alors je crois qu'il y aurait beaucoup d'incertitude parce que nous n’avons aucun genre d'expérience similaire ». Il a ajouté que « bien sûr, ce serait plus gérable qu'il y a cinq ou six ans parce que nous avons de nouvelles institutions, le FESF et le MES, et que d'autres pays de la zone euro  comme l'Irlande, le Portugal et l'Espagne ont fait des progrès énormes d'ajustement».

Regling s’est également opposé explicitement aux plans actuels du gouvernement grec de réduire certains impôts et d'augmenter les salaires et les pensions minimaux, disant que cela serait « revenir en arrière » et met en danger les négociations. En outre, il a précisé que le désaccord s’approfondit depuis que le gouvernement grec estime que l'approche de ses prédécesseurs était erronée, alors que selon lui, « la stratégie fonctionnait». «Cette divergence n'a pas été résolue », a-t-il dit.

Il conclut en ridiculisant l'idée que les créanciers pourraient « reculer parce qu'ils ne veulent pas d'un incident ou d'un accident de crédit», affirmant : « nos procédures pour l'octroi de prêts sont très claires, et très bien établies. Elles sont liées à la conditionnalité, c' est clairement écrit dans le traité MSE. Nous avons besoin d'une décision unanime de nos actionnaires et de l'approbation de six parlements de l'Union Européenne, et les parlements vérifient très soigneusement si la conditionnalité - qui est une condition essentielle -, est respectée

Il faut rappeler que l’hypothèse adoptée jusqu'ici, du moins publiquement, par le gouvernement grec, est que malgré leurs déclarations d'intimidation , les Européens finiront par faire des concessions et, pour citer Yanis Varoufakis, « admettre leurs erreurs ,. Mais les petites phrases lâchées du côté des créanciers vont dans un tout autre sens : ou bien Syriza accepte de poursuivre la politique des mémorandums, ou il aura à subir jusqu'au bout les conséquences de l'étranglement en cours.


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Sauvons la Grèce, par Gianfranco Uber, Italie, 2012

Sans amis
L'isolement du gouvernement grec est devenu encore plus perceptible après les récentes déclarations du président Barack Obama et du secrétaire au Trésor US Jack Lew exhortant le gouvernement grec à prendre rapidement le chemin des « réformes » et à satisfaire les exigences de ses créanciers.
Les relations avec les USA se sont encore  plus dégradées depuis la décision du gouvernement grec de laisser Savvas Xiros et d'autres membres du groupe armé de gauche 17 novembre purger le reste de leurs peines hors de prison, en conformité avec la loi nouvellement adoptée sur la réforme des prisons. Les USA ont réagi très fortement contre la libération de ce qu'ils considèrent comme une «libération de  terroristes », malgré le fait que Savvas Xiros soit en très mauvaise santé.
Il est absolument clair que nous approchons rapidement du « moment de vérité ».
Simultanément, la perspective d'un soulagement immédiat en provenance de Russie, à la suite de la récente visite du Premier ministre grec Alexis Tsipras à Moscou, semble s'être dissoute. L'accord sur un gazoduc qui devait être signé cette semaine, avec une avance de fonds sur les revenus futurs de 5 milliards d’euros, a finalement été reporté après la rencontre de Tsipras avec le président de Gazprom à Athènes le 21 avril.
Cela ne peut pas être une coïncidence que le retrait de la Russie soit survenu le jour où l’Union Européenne a lancé une procédure juridique contre Gazprom avec des accusations douteuses d' « abus de marché  » et de «viol des règles antitrust  de l’Union Européenne ».
Les options qui estent
À ce stade, les options restantes pour le gouvernement Syriza semblent se limiter aux trois suivantes :
  1. Le « bon scénario », qui est encore favorisé par le gouvernement grec, est que les Européens vont faire des concessions, et un qu'compromis sera atteint très bientôt. Cependant, comme la présidente du FMI l’a précisé, afin d'obtenir les 7,2 milliards d’euros en jeu dans accord-pont de quatre mois, la Grèce a besoin d'obtenir un « avis » positif et de se conformer pleinement aux « réformes » convenues par ses gouvernements précédents. En tout cas, cette possibilité a déjà été explicitement exclue par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble et d'autres, qui ont déclaré à plusieurs reprises ces derniers jours que la seule date limite à prendre en considération est maintenant le 30 juin, et qu’aucune somme ne sera transférée à la Grèce avant un « big deal », en d'autres termes, un nouveau « plan de sauvetage » aux conditions habituelles.
  2. Le deuxième scenario est que le gouvernement grec jette l'éponge. C’est bien sûr le but avoué des Européens. Mais dans une récente interview à Reuters, Alexis Tsipras a clairement dit qu'il existe « des désaccords politiques et non techniques » sur quatre questions clés : la législation du travail, la réforme des retraites, une hausse des taxes sur la valeur ajoutée et les privatisations, qu'il a qualifiées de « développement de la propriété de l’État » plutôt que de vente d'actifs. Faire des concessions sur cette ligne de fond reviendrait à une reddition et à un suicide politique pour Syriza.
  3. Troisième scénario : la déclaration  de défaut de paiement de la dette par le gouvernement grec.
Dans une récente interview au Huffington Post, Yanis Varoufakis a dit que si le gouvernement devait choisir entre payer ses créanciers et payer les salaires et les pensions, il donnerait la priorité à la deuxième option. Mais bien sûr, un tel choix signifie une rupture décisive et la sortie de la zone euro (le scénario d'une double monnaie avec l'euro ne peut durer  au mieux que quelques semaines).

La complication ici est que le défaut en mai signifie un défaut sur les remboursements au FMI, ce qui peut entraîner des complications énormes au niveau du commerce (le FMI peut prendre des sanctions qui rendront l'accès au crédit privé pour le commerce presque impossible). La Grèce devrait de préférence faire défaut sur les prêts de la BCE et du FESF, mais ces remboursements sont dus à l'été et il semble presque impossible de tenir bon jusque-là.
Se préparer à la confrontation
Il est impossible à ce stade de dire lequel des deux derniers scénarios, les seuls réalistes, prévaudra. Les signaux envoyés par le gouvernement ces dernières semaines sont de plus en plus contradictoires. D'une part, la tonalité dominante est celle de la confiance et de l’optimisme quant à la possibilité de parvenir à un accord qui matérialise le « compromis honnête » qui est maintenant l'objectif d'Alexis Tsipras.
D'autre part, les ministres appartenant au cercle rapproché d’Alexis Tsipras, comme le ministre de l’intérieur Nikos Voutsis et le ministre du Travail Panos Skourletis, ont fait des déclarations du genre : « Nous aimerions rester sur le bateau appelé Europe, mais si le capitaine nous pousse par-dessus bord, nous devons essayer de nager ».
Dans la même veine, le vice-ministre des Finances Euclid Tsakalotos a déclaré le 26 mars 2015 : « Si vous ne gardez pas en tête la possibilité d’une rupture, alors évidemment les créanciers vont passer les mêmes mesures qu'avec avec le précédent [gouvernement ]».
Des déclarations contradictoires ont également été faites sur la question d'un référendum dans le cas d'un échec des négociations. Une telle mesure apparaît nécessaire car il est vrai que le mandat de Syriza n’aborde pas cette possibilité et a été explicitement fondé sur l'hypothèse d'une rupture avec l'austérité tout en restant dans l'euro.
Dans de récentes déclarations, des ministres de haut rang comme Yanis Varoufakis et Alekos Flabouraris, qui est ministre d’État à la Coordination gouvernementale et est proche d’Alexis Tsipras, ont évoqué cette possibilité, pour être aussitôt contredits par d'autres représentants de Syriza comme le député européen Dimitris Papadimoulis.
L'état de l'opinion publique reflète cette incertitude. L'enthousiasme et l'esprit combatif des trois premières semaines ont désormais cédé la place à un tableau mitigé : le soutien à la stratégie du gouvernement est encore élevé, mais nettement inférieur à son niveau des mois précédents. Les rues sont calmes.
Les mobilisations récentes semblent limitées à certains secteurs (le milieu anarchiste et les communautés locales contre l'exploitation aurifère de Skouries, dans le nord de la Grèce), et leurs effets contradictoires : l'agitation anarchiste a accéléré le vote au parlement d'un projet de loi libéralisant les conditions de détention et mettant fin au régime pénitentiaire de « haute sécurité ».
Mais la situation semble plus confuse à Skouries, avec la police se retournant contre les manifestants et les travailleurs des mines d'or marchant à Athènes pour soutenir la poursuite de l'extraction, fortement soutenus par leurs employeurs canadiens et l'opposition de droite.
L'élément principal de cette atmosphère troublée est, cependant, le fait que l'alarmisme sur le thème du « Grexit » reste incontesté au niveau d'une large opinion publique. L'opposition de droite et les grands médias, de plus en plus hostiles au gouvernement et utilisant tous les arguments possibles pour le pousser vers la reddition totale, associent la rupture avec la zone euro à une apocalypse, comme ils l'ont fait sans relâche depuis le début de la crise.
Mais la réponse de la part du gouvernement tend à être que cette perspective sera évitée grâce à un « compromis honnête » que les Européens devront finir par accepter. Le moins qu'on puisse dire, c'est ce n’est pas le genre de discours qui peut mobiliser la base de Syriza et préparer la société à une éventuelle rupture avec l'Europe.
Avec un parti communiste qui continue à se maintenir dans une  opposition sectaire, son secrétaire général déclarant qu'il refuserait tout soutien au gouvernement, même en cas de rupture avec la zone euro, et l'extrême gauche d'Antarsya qui répète que le gouvernement a déjà cédé, il est de la responsabilité de la gauche de Syriza de proposer la seule approche raisonnable qui puisse éviter l'échec : tenir ferme sur la ligne de confrontation avec l'Union Européenne et préparer le mouvement populaire et la société grecque de façon plus générale à s’engager sur une trajectoire radicalement différente, à la fois au niveau intérieur et international.
L'enjeu est de taille.

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