mercredi 30 décembre 2015

Minqi Li, économiste chinois : “Dans les 10 ans qui viennent, un grand soulèvement de la classe ouvrière est très probable en Chine”

par Pablo Ampuero Ruiz 巴梓诺, China Files, 23/8/2012; Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Original: “Dentro de diez años es muy probable que haya un levantamiento a gran escala de la clase trabajadora en China”: economista chino Minqi Li


Le professeur et militant Minqi  Li (李 民 骐) est actuellement  la figure intellectuelle  la plus importante de la Nouvelle Gauche chinoise. Licencié en économie de l'Université de Beijing et docteur en économie de l'Université de Masachussetts à Amherst, Minqi Li est maintenant largement reconnu pour son travail sur l'économie politique et son livre The Rise of China and the Demise of the Capitalist System ( L'essor de la Chine et l'effondrement du système capitaliste). Chine Files a conversé avec lui sur sa vie, sa pensée économique et sa vision de la Chine d'aujourd'hui.
En 1989, il a participé aux protestations de la place Tiananmen menées par les étudiants et les intellectuels libéraux exigeant davantage de droits politiques et économiques. Pour son opposition à la politique du Parti communiste, un an plus tard il a été arrêté et détenu pendant deux ans, accusé de "propagande contre-révolutionnaire". Il a profité de son séjour en prison pour réfléchir sur la situation de la Chine et les possibilités de changement; c'est ainsi qu'il a découvert les textes de Marx, Engels et Lénine.

Minqi Li est connu pour son engagement militant en faveur de la lutte des travailleurs et de la cause du socialisme. Il est l'un des principaux dirigeants de la Nouvelle Gauche chinoise, qui a une vision critique plutôt positive sur la période maoïste et ne voit pas d'un bon œil le tournant néolibéral pris par le pays avec la politique de "réforme et ouverture». Parler avec Minqi Li, c'est entrer en contact avec une Chine qui n'apparaît pas dans la presse, et cela permet, grâce à une argumentation solide, de dévoiler le paradoxe entre la réussite économique actuelle du géant asiatique et le moment historique que vit le monde.

Vous avez étudié la gestion économique à l'Université de Beijing, où vous êtes devenu un adepte convaincu de l' "École de Chicago" (le néolibéralisme). Mais aujourd'hui, vous êtes un leader de la Nouvelle Gauche chinoise. Comment un tel changement a-t-il été possible?
J'étais étudiant de premier cycle en économie à l'Université de Beijing entre 1987 et 1990. Dans les années quatre-vingt, l'économie néolibérale s'était déjà emparée des principales universités en Chine. Nous avons été formés à croire que la propriété publique des moyens de production et la planification économique étaient intrinsèquement inefficaces et étaient responsables de l'arriération économique de la Chine. En particulier, les économistes faisaient valoir que le socialisme encourageait la paresse des travailleurs, qui vivaient de l'aide sociale et de la protection de l'État. Les entreprises publiques devaient être privatisées et les travailleurs feignants licenciés. Beaucoup d'étudiants, à cette époque en Chine, ont été attirés par le modèle capitaliste occidental, croyant que dans une économie capitaliste de marché libre, la liberté politique et la démocratie allaient fleurir.
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Un gréviste de la faim sur la place Tiananmen en mai 1989. Photo : Stuart Franklin / Magnum
Ironiquement, ce sont les travailleurs qui ont soutenu les étudiants pendant le mouvement pour la démocratie de 1989. Les travailleurs n'avaient pas réalisé que si les étudiants et les intellectuels libéraux avaient gagné, ils auraient mis en œuvre des programmes de privatisation style "thérapie de choc" et détruit des dizaines de millions d'emplois. D'autre part, les étudiants et les intellectuels libéraux avaient des doutes sur la mobilisation des travailleurs au moment critique du mouvement démocratique, en raison de leur méfiance instinctive vis-à-vis de la classe ouvrière. J'ai participé au mouvement démocratique de 1989.

En réfléchissant sur l'échec du mouvement, je suis parvenu à la conclusion que le mouvement démocratique ne pourrait pas réussir sans une mobilisation totale de la classe ouvrière. Mais une mobilisation des travailleurs aurait à tenir compte de leurs propres intérêts économiques et sociaux. Il semblait y avoir là une contradiction évidente entre les exigences de la démocratie et celles de l'économie capitaliste néolibérale. Je commençais à penser qu'il pourrait y avoir quelque chose d'utile dans la théorie marxiste et j'ai commencé à lire certains livres. Au début, j'ai lu principalement des écrits marxistes occidentaux modernes (GA Cohen, Paul Sweezy, Ernest Mandel). Pendant que j étais en prison (1990-1992), j'ai lu de nombreux textes de Marx, Engels, Lénine et Mao. À cette poque, je suis devenu un socialiste, marxiste et marxiste-léniniste. Aujourd'hui, je me considère comme un marxiste-léniniste-maoïste.

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Nous sommes fières de participer à l'industrialisation de notre pays, affiche de Ning Hao, Shanghai 19544
Vous étiez un prisonnier politique en lien avec les manifestations de Tiananmen. Quel rôle avez-vous joué et qu'avez-vous défendu en 1989?
Le mouvement démocratique de 1989 a été un événement politique très compliquée. Des gens de diverses classes sociales y ont participé et certainement il y avait un désir de véritable démocratie dans la population en général. Mais la direction du mouvement était clairement entre les mains d'étudiants et intellectuels libéraux. Lorsqu'ils parlaient de la «démocratie», ce qu'ils avaient en tête, c'était un système politique qui favoriserait les élites, dont les classes moyennes urbaines, mais qui laisserait les travailleurs et les paysans à la merci du système. Comme les libéraux classiques occidentaux, les libéraux chinois craignaient la “tyrannie de la majorité" plus qu'ils craignaient la dictature d'un parti.

J'ai participé au mouvement et j'ai eu de fait certaines relations avec les hauts dirigeants étudiants, bien que ne faisant pas partie d'entre eux. Pour le premier anniversaire du massacre du 4 Juin, j'ai parlé à un rassemblement d'étudiants à l'Université de Beijing pour protester contre le Parti communiste au pouvoir. Suite à cela, j'ai été condamné à deux ans de prison pour "propagande contre-révolutionnaire et incitation". J'ai été libéré en 1992 et je suis parti aux USA en 1994.
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N'oubliez jamais la lutte de classes, affiche de 1962
Dans votre travail ouvrage l'influence de la théorie du système-monde est évidente, mais comme critique du capitalisme et adepte du socialisme, quelle est votre relation au marxisme?
Comme je l'ai expliqué précédemment, je me considère comme un marxiste-léniniste-maoïste. Je crois que le capitalisme est un système historique qui ne peut être viable que dans une certaine période de l'histoire. Je pense que la classe ouvrière prolétarisée (les salariés) est la classe révolutionnaire et avec le développement des contradictions du capitalisme, les conditions seront assez mûres pour une révolution prolétarienne. Je crois à la dictature du prolétariat (démocratie pour le prolétariat et les autres classes laborieuses, dictature contre la bourgeoisie et les autres exploiteurs) dans la transition du capitalisme au communisme.

Les futures révolutions socialistes auront à apprendre des succès et des erreurs de pratique de Mao Zedong sur la "révolution continue sous la dictature du prolétariat". Fondamentalement, je suis un communiste non réformé. En fait, je n'ai jamais eu de formation formelle sur le système-monde. Ma formation formelle est en économie. J'ai fait ma thèse de doctorat à l'Université du Massachusetts à Amherst, où je étudié l'économie néoclassique, keynésienne et un peu d'économie marxiste. J'ai lu Wallerstein et Arrighi, et je suis très inspiré par leurs arguments sur le capitalisme comme système historiquement spécifique basé sur l'accumulation illimitée du capital. Leurs écrits m'aident à mieux comprendre les conditions historiques dans lesquelles le capitalisme a émergé et s'est développé.

En étudiant comment ces conditions historiques ont changé dans le passé et pourraient changer à l'avenir, nous serons en mesure de comprendre non seulement l'émergence du capitalisme dans l'histoire, mais aussi la chute du capitalisme à l'avenir.
Quelle est votre relation avec les groupes de la Nouvelle Gauche chinoise?
J'ai eu une relation continue avec les militants de gauche en Chine. Je suis rédacteur en chef du site Red China (Chine rouge) (http://redchinacn.net). Ce site était l'un des plus influents parmi la gauche chinoise. Mais, depuis l'affaire Bo Xilai, le gouvernement chinois a fermé tous les sites ouèbe de gauche en Chine. Dès lors, nous avons dû déplacer le serveur hors du pays.
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La Révolution n'est pas un crime, on a raison de se révolter (slogan des Gardes rouge, 1966)
Dans votre livre  The Rise of China and the Demise of the Capitalist World-Economy (L'essor de la Chine et l'effondrement du système capitaliste) (Pluto Press, 2008)   vous parlez de la relation historique entre la Chine et l'Occident, comment l'émergence du capitalisme a mis fin à l'Empire chinois; est-ce que l'émergence actuelle de la Chine est en train de conduire à une ère de transition?
Le capitalisme est basé sur la production pour le profit et la poursuite de l'accumulation illimitée du capital. Pour l'accumulation ait lieu, il a besoin de main d'œuvre et de ressources naturelles abondantes et bon marché et du soutien de l'État. Historiquement, dans le cours du temps, le développement du capitalisme dans une zone géographique donnée augmente les coûts de main-d'œuvre et épuise les ressources naturelles locales. Lorsque cela se produit, le capital doit se relocaliser dans des régions avec une main-d'œuvre et des ressources meilleur marché. Mais le processus finira par atteindre ses limites une fois le monde entier pris par l'accumulation capitaliste.
Dans mon livre, je signale que depuis longtemps la Chine a servi de réserve stratégique pour le capitalisme mondial, avec de grandes réserves de main-d'œuvre bon marché et des ressources naturelles disponibles pour l'exploitation. L'essor économique de la Chine au cours des deux ou trois dernières décennies se traduit par une mobilisation de cette réserve stratégique. Cependant, la croissance économique de la Chine augmente potentiellement les coûts globaux de la main-d'œuvre et des ressources à des niveaux que le capitalisme mondial ne pourra pas payer. Du fait de la mobilisation de sa dernière réserve stratégique, le capitalisme mondial a épuisé son propre espace historique.
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Réaliser les quatre modernisations (slogan de 1975)
Vous définissez la Chine comme une semi-périphérie. Quelles sont les probabilités pour la Chine de devenir un nouveau centre, comme certains le pensent, ou même un nouvel impérialisme?
C'est là une question très intéressante et importante. Certes, beaucoup de gens spéculent sur la possibilité que Chine remplace les USA et devienne le prochain hégémon mondial.
Le système-monde capitaliste est divisé en trois sections structurelles: le centre, la périphérie et la semi-périphérie. Historiquement, la périphérie intégrait la grande majorité de la population mondiale. Surplus économique, richesse et ressources étaient transférée de la périphérie vers le centre à travers le vol pur et simple ou l'échange inégal. La richesse s'est concentrée dans le centre pour que les capitalistes puissent investir dans le capital intensif, les industries à haut risque qui sont les moteurs du capitalisme mondial. Le reste de la plus-value concentrée dans le centre a permis d'acheter la paix sociale dans ces pays.
La semi-périphérie est une catégorie intéressante. Historiquement, elle a contribué à stabiliser le capitalisme mondial en servant de zone de relocalisation du capital mondial. Lorsque les pays du noyau dur ont subi la crise économique en raison de la baisse du taux de profit, ces pays avaient besoin de trouver de nouvelles industries de pointe, en même temps que les vieilles industries avaient besoin d'être relocalisées dans de nouvelles zones. L'Amérique latine et l'Union soviétique ont été les plus grands bénéficiaires de la délocalisation du capital au milieu du XXe siècle, ce qui a jeté les bases pour l'industrialisation de substitution des importations entre les années 40 et 60. La Chine a été le plus grand bénéficiaire de la dernière phase de relocalisation mondiale.
Cependant, pour que la semi-périphérie puisse jouer ce rôle stabilisateur, elle peut ne pas être très grande, en d'autres termes, la semi-périphérie ne peut pas inclure la plupart de la population mondiale. Une semi-périphérie trop grande concurrencerait le centre en termes de valeur excédentaire globale, de travail et de ressources naturelles. Cela conduirait éventuellement à une augmentation des coûts globaux du travail et des ressources, et éroderait le taux de profit global.


La stabilité prime sur tout (slogan de 1989)
Avec l'essor économique de la Chine, la semi-périphérie mondiale connaît une forte expansion. Cela peut être un signe que le système capitaliste mondial est en train d'atteindre sa propre limite historique. Si le système capitaliste mondial ne peut pas permettre une Chine semi-périphérique, peut-il permettre à la Chine de devenir un pays au centre du système?
En termes historiques, pour que le système capitaliste mondial fonctionne bien, il a besoin d'une puissance hégémonique qui veille à son intérêt collectif. Par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, les USA ont déployé le Plan Marshall pour faciliter la reprise économique de l'Europe occidentale et du Japon, et ont poursuivi la décolonisation dans le monde non-occidental. Mais quand l'hégémonie de la puissance des USA est en déclin, ceux-ci cessent de contribuer aux intérêts du système et leur poursuite de l'intérêt national est généralement préjudiciable aux intérêts du système (voir la crise financière aux USA et l'invasion de l'Irak). Résultat du déclin US-américain, le système capitaliste mondial n'a plus une puissance hégémonique pour réguler son intérêt collectif. La Chine pourrait-elle remplacer les USA comme prochaine puissance hégémonique? Pour qu'un pays puisse se constituer comme une puissance hégémonique, il a besoin d'avoir des avantages considérables par rapport sur les autres grandes puissances. C'était la position des USA après la Seconde Guerre mondiale.
La Chine va bientôt remplacer Washington comme la plus grande économie mondiale, mesurée par la parité de pouvoir d'achat. Mais la Chine n'a d'avantages dans presque aucune technologie de pointe en comparaison avec les USA, le Japon et l'Europe occidentale. Dans les décennies qui viennent, la Chine devra faire face au défi insurmontable de l'épuisement des ressources et de la dégradation de l'environnement. Aujourd'hui, la Chine importe d'énormes quantités d'énergie du reste du monde et beaucoup de ressources minérales de l'Amérique latine. En plus d'accélérer l'épuisement des ressources mondiales, la Chine n'a pas de forces armes pour protéger ses routes commerciales. Beijing reste dépendante de la Russie pour la fourniture de certaines technologies militaires de pointe.
Si la Chine ne peut pas remplacer les USA, LES autres puissances ont encore moins de chances de le faire. Nous pourrions être arrivés au point où le système capitaliste mondial ne peut plus se renouveler avec l'émergence d'une nouvelle puissance hégémonique. Cela pourrait être un autre indicateur que nous sommes proches de la limite de son existence historique.
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Le développement est le principe absolu (Deng Hsiao Ping, 1990)
Le gouvernement chinois est le dos au mur face à la contradiction entre croissance économique et développement durable. Quelles solutions voyez-vous à ce problème? Et quelles sont les tâches des révolutionnaires et des militants aujourd'hui en Chine? 
La Chine est maintenant le plus grand consommateur d'énergie et le plus grand émetteur de gaz à effet de serre. La Chine représente environ 20% de la consommation mondiale d'énergie et environ 25% des émissions de gaz à effet de serre. La consommation d'énergie et les émissions de dioxyde de carbone en Chine continueront de croître à une vitesse telle que la consommation d'énergie et les émissions de la Chine pourraient doubler en une décennie. De toute évidence, cela est insoutenable.
Mais cela n'est pas un problème limité à la Chine. Le principe de base de la durabilité est que l'impact écologique de l'humanité devra se stabiliser à des niveaux limités par la nature elle-même. Mais cela est fondamentalement en contradiction avec un système économique qui poursuit l'accumulation illimitée du capital. Les défenseurs du capitalisme célèbrent habituellement le soi-disant progrès technologique et promeuvent le mythe que la technologie va nous permettre d'avoir à la fois la croissance économique et la durabilité. Mais en fait, dans presque tous les principaux domaines, le rythme du progrès technologique écologique a toujours été plus lent que le rythme d'accumulation du capital. Le résultat est que l'humanité se dirige vers des catastrophes écologiques mondiales qui pourraient conduire à la fin de la civilisation telle que nous la connaissons.
Finalement, nous avons besoin d'un système économique qui soit capable de fonctionner dans un «état stationnaire» [«steady state»] (c'est-à-dire, sans croissance économique) et qui, même ainsi, puisse répondre aux besoins fondamentaux de la population. Cela ne peut pas être le capitalisme, et ça ne peut être aucune forme de marché économique. Tant que ce sont des relations de marché qui règnent, elles forcent tout le monde à se concurrencer mutuellement. Dans une économie de marché, chaque entreprise est obligée d'utiliser les profits pour accumuler du capital et l'accumulation de capital conduit inévitablement à la dégradation de l'environnement et à l'épuisement des ressources. La régulation par l'État ne peut pas vraiment résoudre ce problème. Et, bien sûr, dans une économie capitaliste, le gouvernement doit être financé par les impôts payés par les capitalistes. La durabilité écologique ne peut être réalisée que par une planification socialiste basée sur la propriété publique des moyens de production. Le socialisme de l'avenir pourra être «efficace» ou non. Mais il devrait pouvoir être durable et répondre aux besoins fondamentaux de la population.
Le régime chinois combine une économie capitaliste avec un système politique socialiste. Dans la pratique, l'inégalité sociale se développe, générant des conflits, tandis que le gouvernement limite l'action de la presse et contrôle les mouvements sociaux par la coercition et la violence. Avec l'effondrement du néolibéralisme, que pouvons-nous attendre de la Chine? Et quel est le rôle des travailleurs dans ce processus ?
L'utilisation de l'expression «système politique socialiste» est curieuse. Comment un pays peut-il vraiment avoir une économie capitaliste avec un système politique socialiste? Le Parti socialiste était le parti au pouvoir au Chili, mais cela n'a pas rendu «socialistes» l'économie chilienne ou son système politique. La question de fond n'est pas le nom d'un parti politique ou d'un système politique, mais les intérêts de la classe sociale qu'il sert.
Est-ce que le système politique chinois actuel sert les intérêts des travailleurs ou des capitalistes nationaux et étrangers? De toute évidence, il sert très bien ces derniers. Les capitalistes jouissent d'une grande prospérité et liberté en Chine aujourd'hui.
Le modèle capitaliste chinois repose sur l'utilisation de main-d'œuvre bon marché, l'exploitation des ressources naturelles et de l'environnement et l'exportation vers les marchés occidentaux. Mais maintenant, les trois piliers du modèle capitaliste chinois sont en difficulté. Avec l'approfondissement de la crise capitaliste mondiale, les exportations de la Chine vont ralentir et stagner à l'avenir.
Les travailleurs chinois ne seront pas éternellement une source de travail pas cher. Avec la croissance de la classe ouvrière chinoise, ils revendiquent eux-mêmes un large éventail de droits économiques, politiques et sociaux. L'histoire suggère que là où la main-d'œuvre non agricole d'un pays dépasse 70% de l'effectif total, le pays pourrait entrer dans une période de militantisme syndical (en se basant sur l'expérience de la Pologne, de la Corée du Sud, du Brésil et de l'Égypte). Dans, disons, dix ans, il est très probable qu'il y ait un soulèvement à grande échelle de la classe ouvrière en Chine.
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Société harmonieuse (slogan de 2003)
Quelle est la situation actuelle de la gauche en Chine? Et quelle a été l'évolution historique de la Nouvelle Gauche?
Dans les années 90, le concept de «nouvelle gauche» se référait principalement à certains intellectuels universitaires qui étaient critiques vis-à-vis des réformes économiques néolibérales. Parmi les figures les plus importantes il y avait Wang Hui, Wang Shaoguang et Cui Zhiyuan. Au début des années 2000, de nombreux jeunes étudiants, travailleurs et militants sociaux ont été influencés par les idées de gauche, constituant une gauche sociale. La plupart des gauchistes chinois se considèrent comme "maoïstes", en raison de l'héritage de Mao Zedong et du socialisme chinois. Le groupe de gauche le plus influent était regroupé autour du site Utopia (http://www.wyzxsx.com). Les intellectuels et les militants associés à Utopia sont principalement d'orientation nationaliste de gauche et soutiennent effectivement un modèle capitaliste dirigé par l'État. Après l'affaire Bo Xilai, Utopia a été fermé par le gouvernement.
D'autres gauchistes chinois se considèrent comme marxistes-léninistes-maoïstes et sont engagés pour une future révolution prolétarienne en Chine. Les maoïstes ont un large soutien parmi les travailleurs du vieux secteur étatique et les chômeurs, tout en rivalisant avec les libéraux pour le soutien des jeunes étudiants.
Il y a un grand questionnement à propos de l'attitude politique de la nouvelle classe ouvrière chinoise, en particulier les travailleurs migrants, qui travaillent maintenant dans le nouveau secteur capitaliste. S'ils seront plus influencés par les libéraux ou par les maoïstes est une question qui va avoir un impact décisif sur l'avenir politique de la Chine.
La ligne de fond est que le modèle capitaliste de la Chine ne peut pas fonctionner sans l'exploitation de travail bon marché. Par conséquent, même les revendications des travailleurs pour les droits démocratiques fondamentaux pourraient se révéler incompatibles avec les exigences de l'accumulation capitaliste. Dans ce cas, ni le capitalisme ni les intellectuels libéraux n'auront beaucoup à offrir aux travailleurs chinois.
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Ouvrières de l'usine Honda de Zhongshan en grève, juin 2010. Photo
Ariana Lindquist pour The New York Times
Il y a un grand questionnement à propos de l'attitude politique de la nouvelle classe ouvrière chinoise, en particulier les travailleurs migrants, qui travaillent maintenant dans le nouveau secteur capitaliste. S'ils seront plus influencés par les libéraux ou par les maoïstes est une question qui va avoir un impact décisif sur l'avenir politique de la Chine.
La ligne de fond est que le modèle capitaliste de la Chine ne peut pas fonctionner sans l'exploitation de travail bon marché. Par conséquent, même les revendications des travailleurs pour les droits démocratiques fondamentaux pourraient se révéler incompatibles avec les exigences de l'accumulation capitaliste. Dans ce cas, ni le capitalisme ni les intellectuels libéraux n'auront beaucoup à offrir aux travailleurs chinois.
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Bo Xilai
Après l'affaire Bo Xilai de nombreux sites maoïstes ont été fermés. Plus tard, nous avons vu la chute de Liu Zhijun *, que la presse occidentale a qualifié de chef de file de la gauche au sein du PCC. Est-ce que cela fait partie d'une offensive du secteur réformiste contre la gauche du Parti?
Le cas de Liu Zhijun est plus ou moins un cas isolé de corruption, qui a à voir avec le débat politique sur les lignes de trains à grande vitesse.
Bo Xilai était le secrétaire du Parti de Chongqing, la plus grande ville dans le sud de la Chine. Bo Xilai a promu des réformes sociales limitées, éliminant la criminalité organisée et construisant des logements sociaux. La campagne contre le crime organisé est ce qui a le plus contribué à l'amélioration des conditions de vie des populations. De nos jours, le crime organisé s'est pas mal développé dans de nombreuses régions de la Chine, et il est lié étroitement tant aux capitalistes qu'à divers niveaux de gouvernement. Cependant, la campagne contre le crime organisé ne se traduit pas une simple question de «loi et ordre». En fait, elle affecte les intérêts de nombreux capitalistes.
Bo Xilai a également favorisé la campagne de «Chansons rouges» dans un effort pour faire revivre certaines valeurs socialistes à travers la promotion de chansons communistes de l'époque révolutionnaire. Au cours de sa dernière année de mandat, Bo a rendu publiques ses orientations politiques, critiquant le capitalisme et défendant une politique économique fondée sur le revenu et la redistribution des richesses. Ceci est quelque chose que d'autres dirigeants du parti communiste ne font plus, et donc, à la fois les dirigeants chinois et la presse officielle ont considéré cela comme un défi à la ligne générale de "réforme et ouverture" (terme chinois pour les politiques économique néolibérales).
Le gouvernement accuse maintenant Bo de corruption et accuse sa femme de l'assassinat de Neil Heywood. Toute l'affaire est très louche et des informations suggèrent que Neil Heywood aurait pu travailler pour le renseignement britannique à un moment donné. L'affaire Bo Xilai suggère essentiellement que les élites dirigeantes chinoises sont déterminées à ne pas effectuer de réformes importantes ou à faire des concessions sérieuses aux travailleurs.
Quel est l'avenir du socialisme en Chine?
Une chose est claire: le capitalisme chinois ne peut pas résoudre ses nombreuses contradictions et l'approfondissement des contradictions économiques et politiques pourrait conduire à une crise majeure dans les dix prochaines années. La crise signifierait presque certainement la chute du régime actuel du "Parti communiste". La question est: qu'est-ce ce qui va le remplacer?
Une possibilité est que les entreprises transnationales, la classe capitaliste et les intellectuels libéraux collaborent pour s'emparer de la Chine, réformer le capitalisme en surface, avec quelques institutions libérales et démocratiques. Mais que peut offrir à la Chine un capitalisme libéral-démocratique ?
Un problème de base du modèle chinois est lié à sa dépendance excessive de l'investissement et des exportations. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire d'augmenter la consommation de masse. Mais pour augmenter la consommation, il est nécessaire d'augmenter les revenus de la classe ouvrière. Selon mes calculs, la Chine a besoin d'une redistribution des revenus des capitalistes aux travailleurs, d'environ 20% du PIB pour atteindre un capitalisme «stable». Mais les capitalistes chinois fourniront-ils pour 20% du PIB de salaires ? Environ 25% de la population chinoise, principalement des travailleurs et des chômeurs du secteur d'État et leurs familles, appuient fermement le socialisme. La nouvelle classe ouvrière est politiquement inactive en cette période. Mais au fil du temps, au fur et à mesure que leurs exigences minimales de droits politiques et économiques entreront en conflit avec le capitalisme fondé sur l'exploitation du travail bon marché, comment évolueront leurs attitudes politiques?
La classe moyenne urbaine était en général fortement partisane de la réforme économique néolibérale. Mais au cours des dernières années, elle a été victime des coûts élevés du logement, de l'inflation et de la menace de chômage. Beaucoup d'entre eux sont devenus de plus en plus critiques du capitalisme. Pour couronner le tout, il y a la crise du pétrole et la crise de l'environnement en général. Si une large alliance populaire entre les travailleurs du secteur d'État, la nouvelle classe ouvrière et la classe moyenne urbaine peut se constituer, alors le socialisme sera de retour en Chine.
Quelle est votre opinion sur la prochaine génération de leaders (Xi Jinping**, Li Keqiang ***)? Que représentent-ils pour le proche avenir du socialisme chinois?
SIl est prévu que Xi Jinping et Li Keqiang deviendront respectivement le prochain président et le prochain Premier ministre. Li Keqiang est connu pour être un fervent partisan du néolibéralisme. Il est titulaire d'un doctorat en économie de l'Université de Pékin, et son tuteur était un défenseur célèbre du néolibéralisme. Li Keqiang a récemment collaboré avec la Banque mondiale pour promouvoir un rapport de recherche en faveur de grandes privatisations en Chine.
La position politique de Xi Jinping n'est pas du tout claire. Il était généralement considéré comme un allié politique de Bo Xilai, mais les événements récents suggèrent qu'il s'est allié avec d'autres hauts dirigeants pour attaquer Bo, ou que les événements ont été hors de son contrôle.
En tout cas, Xi et Li semblent avoir peu de contrôle sur la façon dont les événements politiques et économiques se dérouleront en Chine dans les années à venir. Il n'est pas tout à fait inconcevable, cependant, que dans une future crise politique, le sort politique de Bo Xilai puisse être relancé, dans la mesure où il continue à jouir d'un large soutien populaire.
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Mural sur la répression de la place Tienanmen dans la rue Salvador Allende à Orgosolo en Sardaigne
Auriez-vous un commentaire final pour nos lecteurs d'Amérique latine?
Il y a environ quatre décennies, Salvador Allende a dirigé pendant quelques années le premier gouvernement marxiste démocratiquement élu dans le monde, menant la grande expérience historique de transition au socialisme au Chili. Allende a été brutalement assassiné par les fascistes chiliens, et la contre-révolution néolibérale mondiale a commencé avec l'expérience des «Chicago Boys» au Chili.
Sous le capitalisme néolibéral, les Latino-Américains ont subi une décennie perdue après l'autre. Maintenant, les gens en Amérique latine sont à la pointe de la lutte anticapitaliste. Les Chinois de gauche sont très influencés par les grandes réalisations de Latino-Américains dans leur lutte pour une vie meilleure. Je espère que dans un avenir pas trop lointain, le peuple chilien fournisse un autre grand exemple pour les peuples du monde, en relançant et complétant la grande cause historique que le président Allende a commencé sans pouvoir l'achever.
NdE
* Liu Zhijun, un partisan clé de l'expansion de lignes de trains à grande vitesse en Chine, a été le dernier ministre des Chemins de fer, démis de son poste en février 2011, après avoir été accusé de corruption. En juillet 2013, il a été condamné à mort.
** Xi Jinping,
Premier secrétaire du Parti communiste de Chine,est président de la République populaire de Chine depuis le 14 mars 2013.
** Li Keqiang
est depuis le 15 mars 2013 Premier ministre de la République populaire de Chine, et secrétaire du Parti du Conseil d'État de Chine.
 

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