mardi 29 décembre 2015

Ni marche en avant, ni marche arrière
La Chine à l'ère des émeutes

par Chuǎng 闯, 21/12/2015. Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
Rififi dans le  denim
L'histoire est désormais familière : un matin, au printemps de 2011, un marchand ambulant est harcelé et tabassé par la police. Ce soir-là, des rumeurs circulent sur Internet : le marchand serait mort. Des centaines de personnes se rassemblent dans les rues, rendus furieux par l'apparent assassinat. Ils brûlent des voitures, pillent les distributeurs automatiques et attaquent la police antiémeutes envoyées pour les disperser. Mais ils ne se dispersent pas. L'émeute se poursuit sur plusieurs jours, avec des milliers  de participants. Les journalistes qui viennent faire des reportages sur les événements sont bloqués par les forces de sécurité. La rumeur de l'insurrection se propage sur Internet même si le gouvernement utilise toutes ses ressources pour couper l'accès à l'information.

Malgré sa ressemblance frappante, ceci n'est pas l'histoire de Mohamed Bouazizi, le marchand ambulant tunisien, harcelé par la police, dont l'auto-immolation a déclenché le printemps arabe. Le héros de cette histoire était l Tang Xuecai ( ), un migrant du Sichuan dans la ville de Guangzhou. L'émeute [1] a eu lieu à Xintang, une des nombreuses zones industrielles du Delta de la Rivière des Perles, spécialisée, elle, dans le denim [2], la majorité des émeutiers étant eux-mêmes des travailleurs migrants dans les usines fabriquant des jeans pour l'exportation. Et, à la différence des émeutes et des grèves qui ont suivi la mort de Bouazizi en Tunisie, l'émeute de Xintang a finalement été écrasée quand la police a repris le contrôle du district, procédé à des arrestations en masse et a forcé la majorité des migrants à reprendre le travail.

http://tlaxcala-int.org/upload/gal_12548.jpg

Xintang, 12 juin 2011
Mis à part cette comparaison, l'émeute de Xintang n'avait rien de particulièrement spécial. D'un point de vue purement quantitatif, des villes comme Guangzhou, Shenzhen et Dongguan dans le  Delta de la Rivière des Perles (DRP) vivent plus d'émeutes et  plus régulièrement que même Athènes. Si l'on ajoute les grèves, les blocus de routes et autres «incidents de masse» à la liste, les protestations chinoises surpassent régulièrement les tendances mondiales en ampleur et en gravité, surtout depuis que l'absence (ou l'épuisement) de recours juridiques tend à transformer ce qui pourrait être n'importe où ailleurs un piquet ou une protestation bénins en un soulèvement multi-usines risquant de détruire des millions de dollars de matériel. Pourtant, nous ne voyons pas souvent les avenues et les rues de Xintang comme nous voyons celles d'Athènes, jonchées de voitures brûlées tandis que la police  antiémeutes avance et que des essaims d'émeutiers se dispersent à la faible lueur dorée d'une enseigne McDonalds. Au lieu de cela, les images d'Athènes brûlant sont opposées à celles des paysages étincelants de gratte-ciels des villes côtières chinoises, entrecoupées de graphiques de productivité,  de rentabilité et de progrès tous à la hausse.

Mais sous ces graphiques, ces "incidents de masse" ont augmenté au cours de la dernière décennie. [3] Ce malaise en hausse est, en fait, reconnu par de nombreuses sources officielles, comme le Rapport annuel sur l'état de droit de la Chine (n ° 12). Recensant et classifiant les «incidents», ce rapport a également noté que près de 30% d'entre eux ont eu lieu dans la province de Guangdong, dans laquelle se trouve le DRP. [4] Mais beaucoup de ces rapports, dont celui-ci, ne prennent en compte qu'un petit nombre d'incidents de masse rapportés dans les grands médias et généralisent à partir de ce sous-ensemble. D'autres, comme la carte des grèves du China Labor Bulletin, collectent les rapports sur la toile chinoise d'une manière beaucoup plus systématique, mais les données remontent à quelques années seulement. [5] Leur carte est également volontairement focalisée sur les grèves, plutôt que sur tous les " incidents de masse ", et exclut donc souvent des formes de désordres qui sont initiés à l'extérieur du lieu de travail et ne prennent pas la forme de conflits du travail.

Les discussions sur les troubles chinois reposent trop souvent sur des sources partielles ou des tendances intuitivement «évidentes», allant souvent de pair avec des définitions restrictives. Mais pour discuter de ces phénomènes, il est essentiel d'élargir l'échelle de nos données. Au cours des dernières années une base de données d'agrégateur d'informations sans précédent, Global Data on Events, Language and Tone (GDELT), est devenue disponible, donnant accès à une énorme partie des bulletins d'information du monde, dans plus de 100 langues (avec l'agence de presse de l'État chinois Xinhua comme l'une de ses sources primaires de nouvelles) et codés pour différents types d' «événements», surtout de nature diplomatique, mais comprenant également une série de documents sur les remous politiques internes. [6] Ceci fournit une alternative aux données recueillies dans les rapports officiels ou extraites de médias sociaux chinois, pas tant pour remplacer ces sources mais comme un supplément comparatif. Bien que n'étant pas nécessairement plus digne de foi et plus précise dans les détails, elle peut fournir un contexte longitudinal, ce que les autres ne peuvent pas. [7] Une interrogation des données sur les émeutes en utilisant GDELT a montré une légère augmentation dans les émeutes à travers le monde depuis 1979, rendue plus significative par une diminution parallèle, et beaucoup plus importante, des grèves à l'échelle mondiale. [8] En utilisant les données GDELT, nous sommes maintenant en mesure de voir certains modèles de comparaison invisibles dans d'autres rapports. Néanmoins, les données GDELT sont également basées sur les bulletins d'informations, et donc sous-estiment presque certainement le nombre d'incidents de masse dans un pays comme la Chine, avec sa régulière censure des médias.
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